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Révolution(2) - Histoire de Glénac

 

Disparition des Archives à la Forêt-Neuve

Château de La Forêt-Neuve

Création du Canton de La Gacilly.

Carte du Canton de La Gacilly

Si les lettres patentes du roi du 4 mars 1790 avaient créé les départements, les districts et les communes, elles créèrent aussi les cantons.

Le Morbihan est alors divisé en 69 cantons administratifs et judiciaires, c’est-à-dire que chaque canton est doté d’une justice de paix. Le district de la Roche-des-Trois en compte six dont La Gacilly et Carentoir. Le canton de La Gacilly comprend les communes de Cournon, Les Fougerêts, Glénac et Saint-Martin-sur-Oust ; celui de Carentoir ne comprenant que Tréal, le Temple et la Chapelle-Gaceline. Ceci sera la source, entre autres, de nombreux litiges entre La Gacilly et Carentoir qui dureront jusqu’en 1837 au moins.

Il faut savoir que le juge de paix est investi de fonctions très importantes, non seulement il est chargé de régler les différends ou litiges entre les citoyens, mais il est également officier de justice, c’est à dire chargé de la poursuite des crimes et des délits, du maintien de la tranquillité publique, de la suppression des détentions arbitraires, des constatations de décès ainsi que de la pose des scellés qui suivent ces décès. Etant donné l’importance des fonctions de ces juges de paix, leur élection, réclamée par de nombreux cahiers de doléances, fut très réglementée et prise très au sérieux. Le dimanche précédant l’élection, dans les cinq églises paroissiales du canton, aux prônes des messes, est annoncée, à tous les citoyens actifs, l’élection du juge de paix du canton de La Gacilly pour le dimanche suivant. Ce jour-là, après l’office divin et au son des cloches, les citoyens actifs se présentent à l’église paroissiale du canton. Le plus ancien électeur présent est nommé président temporaire de l’assemblée d’élection ; ensuite les trois électeurs les plus âgés, présents et sachant lire et écrire deviennent assesseurs ; enfin ,un secrétaire est nommé par acclamation.

Ce bureau provisoire passe à l’élection d’un bureau définitif qui peut élire alors valablement le nouveau juge de paix. Mais un incident va survenir : en effet, les représentants de Saint-Martin-sur-Oust se retirent en prétextant qu’il est tard et qu’une longue route leur reste à faire. En fait , un des notables de cette commune désire que Saint-Martin-sur-Oust devienne chef-lieu de canton avec Saint-Laurent, Saint-Congard et Saint-Gravé. Le président de séance remet l’élection du juge de paix au lendemain à 10 h du matin. Pour ce nouveau rendez-vous, un seul habitant de Saint-Martin-sur-Oust est présent et l’élection peut donc valablement avoir lieu. Joseph-Marie Séguin, notaire à La Gacilly et membre du Directoire du district de Roche-des-Trois, est élu juge de paix pour le canton de La Gacilly avec 104 suffrages sur 106 exprimés au début du mois de décembre 1790. À Carentoir, c’est Jean-Marie Leblanc qui est élu avec 63 voix sur 117 votants. Nommé député du tiers état à l’assemblée de la sénéchaussée de Ploërmel le 7 avril 1789 sous le nom de Leblanc de L’Herminais, il est également ancien procureur fiscal de La Gacilly, homme de loi et notaire, son étude étant d’ailleurs à La Gacilly ; elle sera pillée par les chouans en 1793 parce qu’il était devenu juge du tribunal du district de Rochefort en 1792. Louis-Joseph Le Roy lui succèdera, comme juge de paix du canton de Carentoir, le 2 décembre 1792, tandis que Joseph-Marie Séguin sera réélu à La Gacilly. Le lendemain de l’élection de Joseph-Marie Seguin, les officiers municipaux de Saint-Martin-sur-Oust et des trois autres communes concernées adressent une supplique au Directoire du district de Rochefort demandant que Saint-Martin-sur-Oust soit chef-lieu de canton, dénonçant une manœuvre électorale de la part des « messieurs de La Gacilly » qui, au lieu d’inscrire sur le bulletin de vote « les noms de ceux qui lui disaient », inscrivaient les leurs, un certain nombre d’électeurs étant illettrés.

Une enquête est ouverte sur les communes du canton et les administrateurs du district recueillent quelques témoignages. Dans le rapport d’une délibération de la municipalité de Cournon du 26 décembre 1790, il est mentionné que « les réclamations de quelques habitants de Saint-Martin sont de véritables tracasseries ». À Glénac, un rapport identique déclare que Pierre Chevalier, président de la municipalité, « après avoir évoqué les faits et dénoncé la manœuvre du dénommé Mathurin de Saint-Martin qui avait entrepris de faire nommer pour juge de paix dans cette commune son protégé Bellavoir qui devait en retour le nommer son greffier ». Et le maire de Glénac continue : « Le sieur Seguin, nommé juge de paix du canton de La Gacilly, a toutes les qualités requises et nécessaires pour occuper cette place avec distinction, de la probité, des mœurs et des connaissances ; que Bellavoir, au contraire, n’a aucune espèce de connaissance des affaires, qu’il n’a pas l’intelligence nécessaire, qu’il sait à peine signer son nom et que si Mathurin était parvenu, par ses intrigues, à le faire nommer juge de paix, les habitants de Cournon auraient été bientôt forcés de solliciter sa révocation attendu son incapacité notoire et son peu d’aptitude aux affaires ». René Danilo, le maire des Fougerêts, confirme que les opérations électorales se sont déroulées régulièrement.

Le nommé Mathurin de Saint-Martin-sur-Oust paraît être très connu, il est cité à plusieurs reprises en cette affaire, mais son nom patronymique n’apparaît jamais. Enfin, le 30 décembre 1790, le Directoire de district rend son verdict : « En l’assemblée du Directoire où étaient M.M. Duperron, vice-président, Bosson, Corvoisier, Le Roy, administrateurs-directeurs et Le Cadre, administrateur adjoint. M. le procureur-syndic présent. Vu la requête présentée au département au nom des officiers municipaux et notables des paroisses de Saint-Martin, Saint-Gravé, Saint-Congard et Saint-Laurent, signée de quelques individus des seules paroisses de Saint-Martin et Saint-Gravé, les délibérations des municipalités de Glénac et de Cournon du 26 et le certificat de René Danilo, maire de la paroisse des Fougerêts du 28. Le Directoire considérant :

Que la nomination du juge de paix du canton de La Gacilly paraît avoir été faite très légalement.

  1. que la réclamation contre n’a lieu, suivant toute apparence, qu’à la sollicitation du sieur Mathurin qui, se voyant déchu d’un office qu’il désirait, a fait le possible pour faire annuler les opérations de l’assemblée qui peut-être a eu des raisons pour en préférer un autre.
  2. que le refus des citoyens des paroisses de Saint-Congard et Saint-Laurent de signer cette requête annonce leur approbation de la réformation devant nous et l’avantage qu’ils y trouvent.
  3. que cette requête n’a été signée par les habitants de Saint-Gravé et de Saint-Martin que parce que le sieur Mathurin qui l’a rédigée et la leur a expliquée, fait entendre aux uns que Saint-Gravé resterait chef-lieu de canton et aux autres que Saint-Martin le deviendrait.

La loi du 8 pluviôse an IX et un arrêté des consuls de la République du 3 brumaire an X (25 octobre 1801) ramènent le nombre des justices de paix du Morbihan de 69 à 37 et celle de La Gacilly est supprimée. Carentoir garde la sienne et reste le chef-lieu du canton pour les communes de Carentoir, Cournon, Les Fougerêts, La Gacilly, Glénac, Saint-Martin-sur-Oust et Tréal. La réélection d’un nouveau et unique juge de paix devient indispensable. Joseph-Marie Séguin est réélu avec 1349 voix sur 2457 suffrages exprimés ; son concurrent carentorien Hoëo-Lavallière totalise 1102 voix, il devient premier suppléant et Saulnier de La Gacilly, le second. Joseph-Marie Séguin installe la justice de paix à Carentoir, mais continue d’habiter à La Gacilly, où les justiciables des communes proches sont même entendus.

La municipalité et les Gaciliens sont très déçus d’avoir perdu le titre de chef-lieu ; à partir de ce moment, ils n’auront qu’une idée en tête : récupérer ce titre et réparer ce qu’ils considèrent comme une injustice. Jean Cheval, nommé par le Directoire de Roche-des-Trois président de l’administration municipale gacilienne, c’est-à-dire le maire, en 1793, commence une campagne de récupération en se faisant appuyer par Cournon, Glénac et même Redon qui, en 1789, était encore dans le diocèse de Vannes ; Saint-Martin-sur-Oust n’ayant plus d’espoir d’être chef-lieu de canton se rallie également à la candidature de La Gacilly.

C’est ainsi que le 12 brumaire an XI (3 novembre 1802), ce sont les maires et adjoints des communes de Saint-Martin-sur-Oust, Les Fougerêts, Glénac, Cournon et La Gacilly, à l’instigation de cette dernière, ainsi que le juge de paix du canton de Carentoir, Joseph-Marie Séguin (un Gacilien) qui adressent une pétition au grand juge, ministre de la Justice, pour que La Gacilly devienne à nouveau chef-lieu de canton et siège de la justice de paix qu’elle avait perdu en l’an X au bénéfice de Carentoir. La pétition se présente sous la forme d’un long document dans lequel les pétitionnaires exposent leurs arguments. Dès les premières phrases, ils indiquent que l’intérêt public les pousse à faire connaître au ministre que le véritable point central du canton, c’est La Gacilly. Ils développent ensuite leurs griefs contre Carentoir, chef-lieu de canton :

    • le bourg de Carentoir se trouve à l’extrémité septentrionale de la commune et du canton.
    • il ne contient pas plus de trente maisons et n’a aucune distinction des bourgs ordinaires.
    • il est sans commerce et sans marché. Depuis la Révolution, les habitants ont cherché à en établir, mais ils n’ont pas pu y parvenir, le bourg étant situé à une lieue et demie de Guer et à la même distance de La Gacilly, donc trop près de marchés établis depuis longtemps. v la majeure partie de la population de Carentoir demeure à la porte de La Gacilly.
    • la commune de Carentoir est divisée par le « fleuve » le Rahun qui gêne les communications.
    • les chemins pour se rendre à ce bourg sont affreux ,au contraire, La Gacilly dispose de précieux avantages : centre de l’arrondissement, chemins directs et plus beaux, communications faciles avec Redon, la ville la plus voisine où il y a bureau de poste.

Ils développent ensuite l’aspect commercial : six grandes foires annuelles principalement pour les bestiaux. Le samedi de chaque semaine, un des plus forts marchés du département, fréquenté même par des personnes éloignées de La Gacilly. De très grandes halles où on trouve étoffes, quincailleries, toiles, grains et autres denrées.

Une précision : au-dessus des halles se trouvent deux chambres d’audience (sous-entendu, qui seraient utiles pour le juge de paix). Enfin une rivière navigable pour les bateaux de Redon et de La Gacilly, avantage que Carentoir ne peut offrir. Le rapport traite ensuite un peu d’histoire pour rappeler qu’avant la Révolution, La Gacilly était le chef-lieu d’une juridiction très importante, le marquisat de la Bourdonnaye ; on y trouvait un bureau des devoirs, une brigade d’employés au tabac. Elle possède, depuis plus de deux siècles, un bureau d’enregistrement et deux études notariales y sont installées ; il ne s’en trouve aucune à Carentoir. La municipalité énumère encore quelques activités et prétend que, lors de l’institution de la première justice de paix, La Gacilly fut établie chef-lieu de canton des communes de Carentoir et de Tréal (ce qui est manifestement faux, car on a vu que, fin 1790, Jean-Marie Leblanc pour Carentoir et Joseph-Marie Séguin pour La Gacilly avaient été élus juges de paix de leur canton). « Par quelle fatalité… s’exclament les rédacteurs de la pétition, est-il donc arrivé que le chef-lieu de canton ait été fixé au bourg de Carentoir ? » et de produire à l’appui de leur demande des attestations des maires de Redon, Malestroit et Guer, de Simon, maire de Tréal et, ce qui est plus curieux, du maire et de l’adjoint de la commune de Carentoir : « De brumaire an XI. Nous, soussignés, maire et adjoint de la commune de Carentoir, certifions à qui il appartiendra que la ville de La Gacilly, commune du même nom actuellement jointe au canton de Carentoir (ligne ajoutée : que La Gacilly était chef-lieu de canton), qu’il existe depuis un temps immémorial un bureau d’enregistrement, est le lieu le plus commode et le plus central du canton actuel pour y laisser exister le bureau de l’enregistrement. Qu’il n’y ait même pas, dans les autres bourgs de cet arrondissement, de logement commode pour se placer ; qu’au contraire, La Gacilly étant le point le plus central, est à la portée de tous les administrés qui ont tous les jours les moyens de s’y trouver à cause du grand commerce qui s’y fait. De fortes foires, le marché qui s’y tient chaque année (sic), de la commodité d’une rivière qui se rend à Redon, et sur laquelle le batelage se fait avec la plus grande commodité pendant les deux tiers de l’année.

Que dans cette ville il y existe une très vaste halle, une forte maison d’arrêt, que l’on y aborde par des chemins très commodes de toute part, qu’il est juste et nécessaire pour l’intérêt des habitants du canton que le bureau de l’enregistrement y reste fixé, que même la majeure partie de la population de la commune de Carentoir en est à proximité, puisque la majeure partie ne s’en trouve éloignée que d’environ un quart de lieue, une demie et trois quarts de lieue au plus, qu’il serait également intéressant pour le bien des habitants du canton actuel que les autorités civiles et judiciaires fussent fixées à La Gacilly se trouvant situées absolument au milieu de l’arrondissement et vu les autre avantages qu’elle offre au public.

En foi de quoi nous avons délivré le présent, à Carentoir, ce six brumaire an onze de la République. « Bon approuvé que La Gacilly soit chef-lieu de canton. » Cette attestation, écrite quelques jours avant la pétition, présente les mêmes arguments que celle-ci en faveur de La Gacilly .

Si les habitants de Tréal restent favorables à Carentoir pour une raison de proximité, l’un des maires, Joseph Ollivier, un républicain convaincu et admirateur des opinions politiques et des idées avancées gaciliennes, aidé de plusieurs de ses conseillers, soutiendra La Gacilly pour qu’elle redevienne chef-lieu de canton.

En 1832, le préfet, sous couvert de neutralité, demande avis aux communes du canton sur le choix du chef-lieu. Voici le rapport de la séance du conseil municipal de Tréal du 5 novembre 1832. Monsieur le Président (de l’administration municipale) a donné lecture d’une lettre de Monsieur le Préfet du Morbihan en date du 2 octobre par laquelle Messieurs les conseillers municipaux sont invités à donner leur avis sur l’utilité de la translation du chef-lieu de canton à La Gacilly. Considérant que Carentoir est sans commerce et peu fréquenté, que la lutte actuelle entre son bourg et La Gacilly est une lutte d’opinion politique autant que d’intérêt national, débat qui intéresse vivement toutes les communes du canton, déclare s’unir aux partisans du trône de juillet et demande que le chef-lieu de canton soit transféré à La Gacilly, lieu où il est généralement désiré et où il sera évidemment plus utile au public. Fait en mairie de Tréal, les jours, mois et an que dessus. Les sieurs Ollivier, maire, Beaujouan, adjoint, Lanoë ont signé la présente délibération. Les sieurs Michel Borgat, Dando et Maro ayant déclaré ne savoir et ne pouvoir le faire.

Les deux autres membres présents ont refusé d’adhérer et se sont rétractés subitement, quoiqu’ils eussent spontanément donné leur consentement dans les réunions préparatoires ainsi que les quatre autres membres ayant fait défaut, bien qu’impérativement prévenus. Résultat plus que probable des instigations ou menaces des carlistes (partisans de Charles X). Signé Ollivier, Beaujouan, Lanoë. » Une majorité de trois membres sur onze conseillers. Tout ceci est un peu tiré par les cheveux, il aurait été intéressant d’avoir la réaction du préfet et de savoir si un tel rapport a été profitable à La Gacilly.

Si tout le monde est d’accord, y compris la municipalité de Carentoir, il n’y a plus de difficultés et le gouvernement devrait se rendre aux vœux des autorités et de la population unanimes ; d’autant plus que ce n’est pas la première tentative de La Gacilly. Le 4 brumaire an X, un an avant l’actuelle pétition, le préfet du Morbihan avait adressé un premier dossier de demande de transfert de la justice de paix aux conseillers d’Etat Berlier et Regnault de Saint-Jean-d’Angély et l’avait assorti d’un avis favorable.

Pour faire bonne mesure, Cheval, le maire de La Gacilly, avait, dans la même période, adressé directement la même requête au ministre « pour la lui remettre sous les yeux ». Mais l’affaire n’est pas terminée et va demander beaucoup de temps.

En 1804, la municipalité de La Gacilly continue d’adresser au préfet les attestations qu’elle peut obtenir en faveur du transfert : celle du contrôleur des contributions directes de La Gacilly, du sous-officier du recrutement du canton de Carentoir lequel estime qu’il conviendrait pour l’intérêt public et la commodité des particuliers de fixer la réunion des conscrits à La Gacilly. Enfin, le brigadier de gendarmerie en résidence à Carentoir croit que la vie serait plus aisée et que la gendarmerie serait beaucoup mieux à La Gacilly, pensant que le chef-lieu de canton a été fixé par erreur à Carentoir.

Deux jours après, il adresse au préfet un nouveau courrier dans lequel il reprend les arguments géographiques et statistiques et cette fois n’hésite pas à attaquer son collègue de La Gacilly. « Les intérêts de 6.500 personnes sont bien capables de faire rejeter les prétentions d’un ambitieux novateur qui va mendier l’adhésion de quatre maires insouciants pour contenter son orgueil sans utilité, tout en me faisant bonne mine et faisant semblant de se concerter avec moi pour le bien des administrés. » Il poursuit sa diatribe et propose de se rendre à Vannes pour réfuter les nouveaux arguments que pourraient avancer ses adversaires ; il ne parle plus de démission. Le maire de Tréal appuie son collègue de Carentoir et propose de consulter les habitants de sa commune mais, écrit-il, « je les consulterai inutilement parce qu’ils se trouvent bien de l’administration de Carentoir. »

Il ne sera pas utile d’attendre quatre ans cette fois pour connaître la conclusion temporaire de cette affaire. Par une lettre du 6 août 1808, le préfet informe le maire de La Gacilly qu’il a examiné avec une sérieuse attention la pétition présentée par son prédécesseur le 12 brumaire an XI. Il fait observer que la fixation des cantons de justice de paix ayant lieu en vertu d’une loi organique, il y a peu à espérer qu’on y déroge pour un seul canton, d’autant plus que l’intention du gouvernement est de n’apporter dans ce moment aucun changement dans l’ordre administratif et judiciaire. Il laisse cependant une porte entrouverte en poursuivant :« mais il pourrait par la suite s’en occuper… ».

25 ans plus tard, le 8 novembre 1833, la commune de La Gacilly adresse une nouvelle demande d’érection en chef-lieu de canton ou création d’un nouveau canton avec les communes de Cournon, Glénac, Les Fougerêts et peut-être Saint-Martin-sur-Oust. On revenait à la situation qui existait en 1790.

Quoi qu’il en soit, tous les maires de La Gacilly se sont bagarrés pour obtenir gain de cause ; ils ont modernisé la ville (hôtel de ville, école publique, bureau de poste, gendarmerie, perception, sapeurs-pompiers et future église) ; ils se sont créés de nombreux amis et défenseurs comme Ducrest de Villeneuve, Ducordic, Jollivet, Eude, le préfet Lorois lui-même, le député de la circonscription Bernard ; c’est ce dernier qui va réussir à emporter la décision auprès du préfet, mais aussi auprès du roi qui possède alors quelques propriétés dans le pays, en argumentant que La Gacilly se trouve au centre des communes concernées et que le préfet de Vannes préfère La Gacilly parce que c’est une ville plus grande, plus moderne et plus commerçante que Carentoir. Le 20 décembre 1836, la lande de Sigré, contenant 367 hectares de landes, est vendue par la commune de La Gacilly pour 40.020 francs au domaine privé du roi Louis-Philippe dont l’administration, après les avoir clos de talus, les ensemença et planta des arbres verts (en l’occurrence des pins maritimes) pour les réunir à la terre de Mabio et en faire une forêt dite forêt de La Gacilly. Les 7 et 9 février 1837, le préfet du Morbihan fait adresser, par son cabinet, deux courriers sensiblement identiques. Voici le second :

Depuis la première demande du 4 brumaire an X (26 octobre 1801), plus de 35 années ont donc été nécessaires pour obtenir satisfaction et recevoir l’ordonnance du 20 janvier 1837 signée de Louis-Philippe dont voici le texte :

Louis-Philippe, roi des Français, à tous présents et à venir, salut.
 Sur le rapport de notre garde des Sceaux, ministre-secrétaire d’État au département de la Justice et des Cultes.

    • Vu la proposition adressée à notre ministre du Commerce et des Travaux publics le 20 septembre 1833 par le préfet du Morbihan, à l’effet de faire transférer dans la commune de La Gacilly le chef-lieu de la justice de paix du canton de Carentoir ;
    • Vu les délibérations des conseils municipaux des sept communes composant ledit canton .
    • Vu les délibérations par lesquelles le conseil d’arrondissement de Vannes et le conseil général du département du Morbihan appuient la translation demandée.
    • Vu l’avis de notre procureur général près la cour royale de Vannes également favorable à la translation;
    • Vu l’avis du président du tribunal de première instance de Vannes .
    • Vu la lettre de notre ministre de l’intérieur du 13 décembre 1836 .
    • Vu toutes les pièces du dossier Notre Conseil d’État entendu,

Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :

    1. Art. I. Le chef-lieu de la justice de paix du canton de Carentoir, arrondissement de Vannes (Morbihan), sera transféré dans la commune de La Gacilly appartenant au même canton.
    2. Art. 2. Notre garde des Sceaux, ministre secrétaire d’État au département de la Justice et des Cultes, et notre ministre de l’Intérieur, sont chargés chacun en ce qui le concerne de l’exécution de la présente ordonnance qui sera insérée au Bulletin des lois. Donné au château des Tuileries, le 20 janvier 1837. Signé : Louis-Philippe.

De nombreuses festivités marquèrent le retour du chef-lieu de canton à La Gacilly.

La constitution civile du clergé.

Constitution du Clergé -

Un décret, voté le 12 juillet 1790 par l’Assemblée nationale, établit une nouvelle organisation ecclésiastique de la France. Ce décret est ratifié par le roi Louis XVI le 24 août ,mais il est condamné par le pape. Il crée un siège épiscopal dans chaque département et met en place l’élection des évêques et des curés par les citoyens. Il supprime tous les bénéfices du clergé, même le casuel, et l’État prend à sa charge les frais du culte et un traitement accordé à chaque ecclésiastique proportionnellement à la population concernée.

Une grande partie du clergé refuse cette nouvelle organisation, ce qui va provoquer une scission parmi les prêtres : d’un côté, les prêtres constitutionnels ou assermentés, surnommés aussi les « intrus », et les prêtres réfractaires ou insermentés, ces derniers étant de loin les plus nombreux. Le 27 novembre 1790, la Constituante est amenée à exiger une prestation de serment par les ecclésiastiques. Quelques mois plus tard, les prêtres assermentés sont mis par le pouvoir temporel en possession des édifices religieux ; les seconds entrent alors dans la clandestinité tout en continuant à exercer leur ministère, mais en cachette. Au début de 1791, les sanctions commencent à pleuvoir sur les prêtres indociles, timidement d’abord , mais très vite la chasse aux prêtres réfractaires va s’intensifier. Beaucoup, alors, vont chercher, à contrecœur, à s’expatrier, en particulier vers l’Espagne.

Prêtres Réfractaires -

138 prêtres du Morbihan et 43 religieux vont alors constituer, autour de l’évêque assermenté Charles Le Masle, l’église constitutionnelle assermentée. Glénac relevait jadis de la seigneurie et du territoire de Rieux et de la sénéchaussée de Ploërmel. En 1790, il fut séparé de Cournon et érigé en commune du canton de La Gacilly et du district de Rochefort. Son recteur,[4] Pierre Fleury, de Lantillac refusa de prêter serment à la Constitution civile du Clergé en 1791. Il fut arrêté auprès des Fougerêts et envoyé à Vannes au Petit-couvent, puis à la Retraite des femmes où il mourut le 21 janvier 1795, à 63 ans.

Joseph-Pierre ROBERT

    • Vicaire [5] de Cournon (ou de Glénac) dans le diocèse de Vannes, il est né au village de la Croix en Cournon, il refusa le serment schismatique de 1791. Il resta dans ce pays et s’y vit arrêté en septembre 1792. Au commencement de l’année suivante, le 26 mars, il est envoyé à Rochefort sur le Patriote, pour y subir la peine mortelle d’une déportation maritime. On l’embarqua sur le navire des Deux Associés et, après avoir supporté quelques mois les maux de la déportation, il succomba. Sa mort arriva le 2 septembre 1794. Il avait alors 48 ans : on l’enterra dans l’île d’Aix (V. J. Ripoud et A. Rodier).

Afin d’éviter la guillotine, la prison ou la déportation, les prêtres insermentés se « terrent ». Nous [6] apprenons, par la correspondance du district de Rochefort dans le Morbihan, que des prêtres se réunissent chez les demoiselles La Landelle à Saint-Vincent, à Glénac dans la maison de la Chouannière, à la Houssais, en Saint-Martin.

En mars 1792 parvient l’ordre d’enlever aux églises tous les ornements et objets de valeur : vases, croix de procession. En 1793, la Convention ordonne même que les cloches des églises soient saisies pour être envoyées à la fonte pour en faire des canons et aussi des pièces de monnaie. Cette mesure ne sera appliquée à La Gacilly que le 13 mars 1794 par les citoyens Grinsart, alors maire, et Jean Hersart, conseiller municipal. Toute l’argenterie existante fut envoyée à l’administration du district de Rochefort. Les fidèles les plus sûrs se rassemblent et s’organisent afin d’éviter ces saisies et de mettre à l’abri les objets convoités

Vente des Biens du Clergé C’est ainsi que les cloches de Cournon sont cachées sous deux mètres d’eau dans l’ancien lit de l’Aff ; celles de Glénac sont immergées dans les marais et celles des Fougerêts dans l’étang du Groutel[7]. Les vases sacrés sont remis à des mains sûres : à Sorel de la Juberde en Cournon et à Jean-Louis Boudard à Glénac, aux habitants du village des Boissières aux Fougerêts.

Un nouveau coup dur attend le clergé réfractaire avec la loi du 27 mai 1792 qui stipule la déportation des prêtres insermentés à Rochefort, à Saint-Martin-de-Ré et même en Guyane. Le 28 juin, des arrestations massives de prêtres réfractaires sont opérées ; les dénonciations se multiplient et les mêmes dénonciateurs se retrouvent : Le Gall et Séguin de La Gacilly (ce dernier devait pourtant être sauvé, plus tard, par le chouan Jouvance ), Bloyet, Jolivet, Le Blanc de Carentoir.

Pendant les troubles, on vendit, comme biens nationaux, un pré appartenant à la cure, une [8]chapelle, une maison et ses dépendances appartenant à la fabrique.

 

 

La Chouannerie

 

Carte de la Chouannerie

 

La suppression des pouvoirs du roi et la création des comités de surveillance en 1790, l’adoption de la Constitution civile du Clergé et l’arrestation du roi à Varennes en 1791, l’abolition de la royauté en 1792 et la conscription forcée des jeunes en 1793, tous ces évènements majeurs provoquent une émotion considérable parmi la noblesse, mais aussi parmi les paysans plutôt royalistes qui condamnent même les exactions commises dans les châteaux par quelques aventuriers et révolutionnaires de dernière heure.

Mais c’est en mars 1792 que commence vraiment la chouannerie lorsque la Constituante donne l’ordre d’enlever des églises tous les objets et ornements sacrés de valeur ; de plus, de nombreuses réquisitions affectent surtout les paysans qui sont tenus de fournir des bêtes et des denrées pour le ravitaillement des troupes. Ces mesures vexatoires et inopportunes exaspèrent la population des campagnes et amènent à la rébellion contre la nouvelle république en laquelle elle avait fondé de grands espoirs. Une partie de la noblesse, les paysans, le clergé et les petites gens comprennent qu’ils ont été bernés. Une guerre civile s’abat alors sur la Bretagne et la Vendée. Pendant près de dix ans, toutes sortes d’atrocités vont être perpétrées entre les deux camps : d’un côté, les blancs royalistes, défenseurs de la religion et du roi, appelés aussi les chouans et, de l’autre côté, les bleus ou républicains.

Le nom de Chouan viendrait du nom de leurs premiers chefs, deux paysans du Maine, les frères Cottereau, vulgairement appelés les frères Chouan qui le tenaient eux-mêmes de leur aïeul paternel surnommé Chouan (de chat-huant) à cause de son caractère morose. Selon d’autres, ce nom viendrait de ce que le cri du chat-huant aurait servi de cri de ralliement aux royalistes. La chouannerie représente le type même de la guerre d’embuscade faite par de petites bandes de gens de la campagne armés de faux, de fourches ou de bâtons, mais toujours prêts à se jeter sur les détachements républicains. À partir de 1793, une véritable insurrection prend naissance en Vendée, surtout à partir du 25 février, date à laquelle la conscription prit un caractère obligatoire ; elle s’étend rapidement à l’Anjou et à la Bretagne. Une armée catholique et royale est créée ; elle est commandée au départ par Stofflet et Cathelineau puis, par la suite, par d’anciens officiers nobles comme Bonchamps, Lescure, La Rochejacquelin, Charette et d’Elbée.

1793

Comme dans les villes environnantes, il y eut d’abord des bandes de blancs insurgés. Un essai d’organisation de ces bandes de Questembert à La Gacilly en passant par Allaire est tenté par M. Léopold de Cacqueray, un gentilhomme manceau de 22 ans, ancien page de Louis XVI ; il établit son quartier général en 1792 au château de la Bourdonnaye et commence à recruter sur Glénac, Les Fougerêts, Carentoir et Ruffiac. Les deux frères Boutemy de Glénac et Jouvance des Fougerêts ne le quitteront plus. Dans ce château, les chouans transforment l’une des tours en atelier de fausse monnaie ; quelques-uns de leurs outils seront découverts, plus tard, enterrés dans le potager, entre autres une imprimante mobile et un peu d’or. Léopold de Cacqueray, sous les ordres du marquis de la Rouërie, commence par créer une poste clandestine dont les étapes principales sont la Minière en Réminiac, la Noë–Cado aux Fougerêts, Port-de-Roche sur la Vilaine. Un an après son arrivée, il tombe dans une embuscade entre Saint-Nicolas-du-Tertre et Ruffiac où il fut tué. Il semble que ce fut l’œuvre de Chédaleux qui avait abandonné le bréviaire pour la carabine. C’est la raison pour laquelle les chouans condamnèrent ce dernier à mort ainsi que trois autres personnes, une de La Gacilly et deux autres de Cournon. Quelques jours plus tard, le prêtre Chedaleux était fusillé avec une des deux personnes de Cournon.

Dès le début de 1793, La Gacilly est devenue un poste militaire. Elle a sa petite garnison de républicains que renforce une garde nationale plus dévouée que nombreuse. Cette première garnison de 45 hommes venue à La Gacilly appartient au 109ᵉ régiment d’infanterie de Rouen qui a laissé une triste réputation par ses déprédations, ses brigandages et ses crimes, faits rapportés par J. M. Seguin dans le compte rendu qu’il fait de l’attaque de La Gacilly par les Chouans. Les troupes républicaines, cantonnées passagèrement dans les localités menacées par les chouans, vivaient sur le pays et ne se faisaient aucun scrupule de piller, de voler, ni même de tuer ceux qui leur résistaient. Le représentant du peuple Brüe, ainsi que les généraux Hoche, Quantin et Krieg se plaignent amèrement dans leurs rapports de l’indiscipline, de l’immoralité et de la cruauté de ces troupes et prendront des mesures sévères pour les ramener à l’ordre

En plus des réquisitions générales, il faut citer les innombrables et dangereuses corvées auxquelles sont assujettis ceux qui ont des chevaux ou savent les conduire pour transporter les grains à Vannes, à Rennes, à Redon dans les magasins militaires, à Saint-Perreux, à Malestroit ou à Rochefort. Ils doivent aller chercher ces mêmes grains, le plus ordinairement de nuit, dans les communes du canton et des cantons voisins afin de les mettre en sûreté dans les halles de la ville. Tout cela ne va pas sans danger ni risque, car il faut le faire dans des chemins défoncés et presque impraticables, à travers des bois et des forêts où se cachent des bandes de malfaiteurs, de réfractaires et de déserteurs sans foi ni loi, ne vivant que de pillages et de vols. Les chouans se tiennent à l’affût, régulièrement encadrés par d’anciens officiers du roi. Ils cherchent l’occasion de se ravitailler en prenant les grains réquisitionnés, les considérant comme leurs puisque, en majeure partie, ces grains ont été enlevés de force aux fermiers des émigrés.

À La Gacilly, l’entrée de chaque rue est fermée par des portes, la halle est close, barricadée et crénelée pour se mettre à l’abri d’un coup de main des Chouans ou des bandes d’insurgés qui parcourent toujours le pays ; le temps n’est plus où elles se bornaient à rançonner leurs adversaires ou à raser par moitié la tête des fonctionnaires publics. Autour de La Gacilly, ces bandes d’insurgés prennent le nom de Ho Ho ou de Hou Hou ; elles dévastent la campagne gacilienne parce que les principes de réforme de 1789 y ont été bien accueillis dès le début.

16 mars 1793.

Rochefort-en-Terre tombe aux mains des paysans exaspérés de la persécution religieuse. Les bandes de Hou-Hou aident grandement les chouans à réaliser le « sac » de cette ville ; 1500 assaillants armés d’objets hétéroclites s’emparent du chef-lieu du district sans grande difficulté, les hommes du 109ᵉ régiment d’infanterie de Rouen n’offrant qu’une piètre résistance et les républicains s’étant enfuis devant cette horde déchaînée ; parmi les bleus en déroute, il y a Geslin, Séguin, Le Blanc, Le Clainche, Le Gall, Hurel et Hoëo-Boisgestin. Trois personnalités, membres du comité révolutionnaire, surprises dans les caves du château où elles s’étaient cachées, sont massacrées : le chirurgien Duqueno, Denoual et l’avocat Lucas de Bourgerel.

C’est en souvenir de leur sacrifice que Rochefort-en-Terre sera appelé Roche-des-Trois jusqu’à l’Empire, c’est-à-dire pendant une vingtaine d’années. Parmi les blancs, il y a Gilles Davalo du Rocher en Tréal, Pierre Chevalier, venu de Carentoir avec 68 hommes, sous les ordres du lieutenant local Montméjean, de son vrai nom chevalier Montbrun Dupuy-Montméjean, qui est alors le chef de la chouannerie dans le secteur de La Gacilly, Carentoir, Malestroit, Saint-Gravé et les marais de Glénac. Lieutenant au régiment du Forez à Sedan en 1786, marié à Melle Anne-Gabrielle Le Roy de la Danais en Carentoir le 29 janvier 1782, il émigra en 1791, mais revint clandestinement dans la région où habitait sa femme, à la Grée-Horlay, et c’est là que les Chouans de Carentoir vinrent le chercher pour être à leur tête. Sa tête fut mise à prix à trois reprises pour 600 livres et en particulier après le « sac » de Rochefort-en-Terre. Après la prise de cette ville, les chouans y installèrent une garde permanente de 3 à 400 hommes que les paroisses environnantes devaient fournir. Trois d’entre elles, La Gacilly, Saint-Marcel et Réminiac, n’ayant pas participé à la prise de cette ville, refusent d’y envoyer un contingent.

Le général Beysser arrive à Redon encerclé par les chouans. Il se heurte à eux à Aucfer, mais il se retire. Il attaque ensuite le passage de Saint-Perreux puis se dirige sur La Gacilly lorsqu’il apprend la prise de la Roche-Bernard par les chouans. Après la reprise de La Roche-Bernard quelques jours plus tard, 200 hommes sont envoyés sur Glénac, La Gacilly et Les Fougerêts, dans l’un des villages de ce bourg, les Zéreux, où des dénonciateurs fixent encore le nombre des hommes envoyés à Rochefort-en-Terre à près d’un cent. Il n’y eut pas d’arrestation , mais une perquisition de céréales.

23 mars 1793

a cause de ce soulèvement populaire qui s’étendit soudainement à cette époque sur tout l’arrondissement, de Redon à Vannes et de la Roche-Bernard à La Gacilly et à Rochefort-en-Terre, fut la persécution religieuse. Comme l’a bien écrit l’historien Lenôtre : « Ce n’est pas contre la Révolution que combattit pendant tant d’années le peuple breton. C’est pour la liberté de ses croyances. » Cela est surtout vrai du mouvement de révolte de mars 1793. Ce n’est que plus tard que les royalistes tenteront de se servir du mécontentement populaire pour l’utiliser habilement en faveur de leurs visées politiques.

Ce que demandent ces paysans soulevés, à Vannes comme à La Gacilly, c’est la libre pratique de leur religion, ce sont les prêtres bannis, dénoncés, traqués, emprisonnés et mis à mort, ce sont leurs églises fermées, profanées et désertes. Et leur colère s’adresse naturellement aux hommes de loi, aux juges, avocats, procureurs, tous gens détestés sous l’ancien régime qu’ils avaient rendus odieux par leurs rigueurs et leurs exactions et qui sont devenus les fonctionnaires honnis d’un nouvel état de choses encore plus insupportable que l’ancien puisque, non content de violer les bourses, il veut encore violenter les consciences.

Ils s’en prennent avec raison à ces nouveaux maîtres du pays qui sont, le plus souvent, loin de valoir ceux qu’ils ont remplacés, car s’ils ont gardé leurs défauts en les exagérant, ils ont oublié leurs qualités et leurs vertus. Ils veulent demander des comptes à ces gens qui ont dénoncé, livré, poursuivi les prêtres fidèles, pour obtenir du nouveau pouvoir leur maintien en place ou leur avancement, qui se sont enrichis d’une façon scandaleuse en accaparant les biens des nobles et du clergé et qui, se glorifiant seuls du nom de citoyens comme autrefois de leurs titres de propriété dont ils semblaient faire des titres de noblesse, s’imposent par la tyrannie et la terreur aux humbles et aux petits sans défense.

23 mai 1793.

Montméjean est arrêté à Malestroit avec Mathurin de Saint-Martin-sur-Oust et guillotiné le 29 du même mois. Les propriétés du premier sur Carentoir sont vendues comme biens nationaux ; sa métairie et son pourpris de la Danais sont adjugés au prêtre assermenté Rubault de La Gacilly pour la somme de 7.175 livres. Comme sous-lieutenants, il avait : Chevalier de Carentoir, Caillet des Fougerêts. Un des frères Boutémy de Glénac qui s’était signalé comme un des premiers sous-lieutenants semble avoir eu les qualités d’un combattant de valeur. Il passa en Vendée et fit la campagne de 1794. Il fut fait prisonnier en 1795, près de La Gacilly, mais les bleus de ce pays facilitèrent également son évasion. Il mourut à Glénac.

Autre sous-lieutenant de Montméjean, c’est Gilles Davalo de Tréal : braconnier, malin, rusé, un jour, les bleus sont mis au courant de l’endroit de sa cache dans une taille. Davalo et deux de ses compagnons chouans devaient couper du blé noir au fermier du Pré-Clos en Tréal. Le soir venu, les bleus cernent le repaire. Rien n’ayant bougé, on se rue sur la cache : elle est vide. Pas tout à fait peut-être, car trois « reliefs » nauséabonds y attestent le passage récent des trois hors-la-loi. Ensuite, Davalo commande une petite troupe de cavaliers cantonnés aux Fougerêts. Jouvance, le connaisseur du marais, sera son agent de liaison ; facteur, passeur, populaire, sans ennemi même chez les adversaires, c’est lui, dit-on, qui sauva Séguin de La Gacilly en 1795.

22 novembre 1793 (2 frimaire an II) .

Le Batteux est nommé commissaire de la ville de Redon. Le Directoire de Redon fait appel au sinistre Carrier de Nantes qui visite la région pour organiser des tournées de répression dans les campagnes ; il passe le 9 octobre à Sixt-sur-Aff et à La Gacilly d’où il envoie une patrouille à Sourdéac pour arrêter Anne de Gouyon

voir article= Arrestation de Madame Anne de Gouyon

Fin de 1793. (nivôse an II) .

Les bourgs les plus révolutionnaires sont La Gacilly, Renac et Derval et certains villages comme les Zéreux aux Fougerêts et Bocquereu à Allaire. Au village de Binon en Bains-sur-Oust, près de la chapelle Saint-Laurent, la famille Dubignon est souvent inquiétée par les Chouans , car un de leurs fils, auteur de fables distinguées, est membre de la Convention. Les chefs révolutionnaires les plus en vue sont Joseph Séguin à La Gacilly, Pierre Le Cars dit La Grole ou Pelo à Caden, Geslin à Rochefort-en-Terre, Chédaleux, le vicaire défroqué de Saint-Congard qui livrent leurs anciens collègues et enfin, Savigne à Carentoir.

23 mars 1794 (3 germinal an II)

Réquisition du représentant du peuple du Bois-Crancé : « Tous les jeunes gens de 18 à 25 ans, à l’époque de la publication de la loi du 23 août 1793, sont requis de partir au reçu de la présente promulgation, pour se rendre au chef-lieu qui leur sera désigné et qui est Roche-des-Trois pour La Gacilly. » C’est l’enrôlement forcé dans les troupes de la République de tous les jeunes gens en âge de porter les armes.

C’était la première fois qu’on imposait aux populations l’impôt du sang et, comme cette menace était prise pour soutenir un régime nouveau mais déjà abhorré ,parents et enfants n’acceptèrent pas sans résistance cette nouveauté qui leur paraissait tyrannique. Ce fut l’origine de ces nombreux groupes de réfractaires et de déserteurs qui, cachés dans les bois et les marais, allaient bientôt fournir des troupes toutes prêtes pour la chouannerie qui commençait à se réorganiser sérieusement dans le pays, sous la direction de nobles revenus d’exil ou d’anciens officiers de l’armée royale échappés au désastre des Vendéens.

6 avril 1794 (16 germinal an II)

Réquisition des draps, toiles et autres matières propres au campement des troupes. Les gens du pays connurent les restrictions et le régime du pain noir.

26 mai 1794. (7 floréal an II)

Maison des Chouans

D’autres atrocités vont être commises, en particulier l’arrestation du chef chouan Pierre Chevalier, responsable du secteur de Carentoir. La guillotine est amenée de Rennes à Carentoir « à grand renfort de publicité » et Pierre Chevalier est exécuté le 26 mai 1794 (4 prairial an II) devant l’église pour servir d’exemple. L’exécution eut lieu sur les cinq heures du soir et sa tête, plantée sur une pique, fut promenée à travers les rues du bourg par les soldats républicains.Tours du château

Il est rapporté qu’un citoyen de La Gacilly qui assistait à ce spectacle fut tellement écœuré par tout ce qu’il voyait qu’il eut l’envie « de tirer dans le tas » de la maison de la Poëllerie où il se trouvait. Suite à cet événement, la guillotine prendra le surnom de Perrine Chevalier. Pierre Chevalier était né au Temple, avait épousé Cécile-Anne-Pauline Tourtal du Bois-Brun en Treal où il était menuisier. Avant de mourir, il avait demandé une plume, de l’encre et une chemise blanche, montrant par-là que sa conscience était pure. D’ailleurs, il semble qu’il refusa le ministère du prêtre assermenté Rubault de La Gacilly. Il est raconté qu’un prêtre réfractaire, posté à un endroit convenu, put lui donner l’absolution avant son exécution.

Trois jours après, le « maystre en chirurgie », Charles-Marie Hurel, le républicain, fut exécuté sommairement contre le mur du parc du château de la Bourdonnaye en guise de représailles. Cette fusillade est encore rappelée par le nom de Porte-Rouge, endroit où eut lieu l’exécution.

12 août 1794 (25 thermidor an II)

Les cordonniers sont réquisitionnés ; ils sont tenus de fournir " 5 paires par décade".

1795.

Au début de l’année, la Convention thermidorienne engage des négociations avec le chef chouan Charrette à la Jaunaye et à la Mabilais dont les clauses sont acceptées en mai par Stofflet. L’amnistie est accordée aux insurgés ainsi que le libre exercice du culte. Mais en juillet, avec le débarquement d’émigrés à Quiberon, les hostilités reprennent

12 avril 1795 (2 floréal an III) [9]

Le 2 floréal an III de la République française, une et indivisible, une séance publique présidée par le citoyen Gentil et où siégeaient les citoyens Saulnier, Thélohan et Mollié, administrateurs, et Binel, agent national, était tenue à Redon (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine: 2483°, folio 102 « S'est présenté le citoyen Julien-Alexis Joyaut, fermier de la terre de Rieux ; lequel déclare que la Forêt-Neuve est située dans la commune de Glénac, district de la Roche-des-Trois, département du Morbihan ; qu'après la dernière récolte, il se rendit au Directoire de la Roche-des-Trois et y déclara les grains et foins qu'il avait récoltés sur cette terre, environ 175 demés de seigle, 12 demés de froment, 30 demés d'avoine, le tout mesure de La Gacilly, et 23 milliers de foin.

que le même jour ou le lendemain, les administrateurs de la Roche-des-Trois lui écrivirent de garder les grains et foins sus-référés, parce qu'ils étaient dans l'intention de les faire passer à Redon dans les magasins de la république ;

  • que, depuis, il a été plusieurs fois à la Roche-des-Trois et qu'à chaque voyage, il a engagé les administrateurs à disposer des grains et foins dont il s'agit; qu'ils lui ont répondu qu'ils les feraient incessamment conduire à Redon ;
  • que le 22 germinal dernier, le citoyen Larsonnier, garde des magasins de la république à Redon, se transporta à la Forêt-Neuve avec des voitures et un détachement et fit enlever les foins qui s'y trouvèrent, à une très petite exception près, que les voitures ne purent charger ; Ø que le lendemain, il vint à Redon, vit le citoyen Aubry, fournisseur, et le pria de faire enlever le plus tôt possible les grains restés à la Forêt-Neuve, que ce dernier lui répondit qu'il les ferait enlever dans 5 ou 6 jours et que pour cet effet il aurait besoin d'un détachement ;
  • que lui, Joyaut, vint à Redon hier soir à l'effet de presser le citoyen Aubry de faire exécuter cet enlèvement; mais que le matin, Louise-Thérèse Joyaut, sa sœur, lui a écrit que les grains en question ont été enlevés la nuit dernière par une troupe de brigands qui s'en saisit violemment.

Enfin, que le particulier qui commandait cet attroupement a donné une déclaration dont voici les termes : « de par le Roi, je me suis transporté chez le nommé Joyaut avec 200 hommes pour enlever les grains destinés à la République. Fait dans la nuit du 21 avril 1795, l'an III du règne de Louis VII « roi très chrétien ».

Signé : Constant, capitaine de l'armée catholique et royale de Bretagne. »

À côté, l'empreinte d'un cachet rouge.

Le citoyen Joyaut a signé la présente déclaration et a déposé la lettre ci-dessus, même la lettre de sa sœur à lui: contre-signée. Il a demandé acte de tout, ce que le Directoire, l'agent national entendu, lui a décerné.

Joyaut, Gentil, Molié, Thélohan, Saulnier, Binel et Raulin, secrétaire.

12 mai 1795 (23 prairial an III)

Des réquisitions toujours plus exigeantes et plus multipliées avaient achevé d’enlever aux paysans leurs provisions de grains et de fourrages pour ravitailler Rennes, Redon, Nantes et même Bordeaux. Le pays était menacé de famine par les exigences des commissaires du district qui parcouraient les campagnes accompagnés de troupes bleues pillant, ravageant, brûlant tout ce qu’elles trouvaient sur leur passage et ne se privant guère de maltraiter et même de tuer les paysans inoffensifs. C’est ainsi qu’en ces jours de mai 1795, les Bleus, en passant, fusillèrent à Saint-Martin-sur-Oust un paysan laboureur travaillant dans son champ. Poussés par la misère et par la faim, les paysans se révoltèrent, s’unirent aux chouans organisés dans le pays et coururent en armes aux greniers publics où étaient accumulés les grains des réquisitions.

Attaque de La Gacilly par les Chouans

    • 8 juin 1795 (20 prairial an III)
      • Récit du garde national Etoré

  • Le 8 juin 1795, la ville de La Gacilly est encerclée par les chouans de Glénac, des Fougerêts conduits par de Sol de Grisolles et Caillet de Saint-Jacob et de Saint-Martin-sur-Oust. Ce jour-là, le garde national Etoré, cultivateur à Lestun en Cournon, factionnaire de garde, a raconté à J.M. Seguin, le juge de paix, l’attaque des chouans. Ce dernier a dressé un procès-verbal quelques jours après. « L’attaque eut lieu à l’aube, vers les trois heures du matin, dans la nuit du 19 au 20 prairial ; alors qu’il était de garde à La Gacilly, qu’aussitôt que le jour commença à paraître, la garde se retira pour se reposer, à l’exception des factionnaires, qu’il était factionnaire avis (près) de la porte de Hersart, qu’environ une demi-heure après la garde, étant encore en faction, il entendit beaucoup de monde venant de la rue du cimetière armé de fusils, qu’il leur cria : Qui vive ? » Qu’on lui répondit : « Républicains » ; en approchant, qu’il leur répéta : « Qui vive ? » Halte-là, qu’on lui répondit : « Habitants de La Gacilly », que, voyant que ce n’étaient pas des habitants de La Gacilly, il se récria : « Qui vive ? Halte-là », qu’au même moment, il fut tiré sur lui cinq coups de fusil, qu’alors il se rasa le long des maisons et vint se cacher contre la porte d’écurie de Guillotin, fit passer son fusil par un trou dans l’écurie et se cacha dans la porte ; que lesdits royalistes étant entrés chez différents particuliers.
  • Il entendit saisir sur la rue un homme qui se nommait Robert et sur lequel on fit feu ; qu’il fut lui-même trouvé par un royaliste qui vint gâter de l’eau contre la porte de ladite écurie, qu’il fut conduit lui-même au milieu de leur troupe dans laquelle il reconnut de Sol de Grisolles, les deux Péreau, ( c’est Pério qu’il veut dire), le nommé Puissant ci-devant volontaire, le nommé La Feuillade, le fils aîné de Jean Potier des Fougerêts, Pierre Le Fresne de Maure, les deux Boutemy de Glénac, le fils de Mathurin Hervé de la Bussonaye en Cournon, domestique à la Grignonnaye ; qu’ayant été relâché sur ce qu’il était étranger lequel venait chercher un chirurgien pour sa femme en couches, il ne resta pas à voir ce qui se passait. Ajoute qu’il y a environ un mois et demi que les chouans des Fougerêts et de Saint-Martin-sur-Oust lui volèrent un cheval et cinq demés et demi de seigle qui furent amenés par Joseph Belsoeur, Louis Chotard et Noblet de la commune des Fougerêts, que de Sol avait promis de lui faire rendre son cheval en retour du voyage de Carentoir, mais qu’il n’en a rien fait. »
  • La relation du factionnaire Etoré qui nous renseigne exactement sur l’arrivée des chouans n’a plus la même précision pour le reste du récit et est sur beaucoup de points en contradiction avec les dépositions des autres témoins. Il faut se rappeler qu’Etoré, étant de garde, ne peut déclarer avoir abandonné son poste après avoir tiré un seul coup de fusil au lieu des trois prévus. C’est pour cela qu’il affirme avoir fait les trois sommations réglementaires, alors que Jean Hersart et Anne Provost, femme Denoual, aux portes de qui cela se passait, ont formellement entendu un seul « qui vive, halte-là » auquel il fut répondu : « royalistes », et qui fut suivi de quelques coups de fusil. Caché derrière la porte de l’écurie de Guillotin sur le chemin du Vaugleu, il n’a pu voir ce qui se passait sur la place et la rue devant les Halles, par conséquent la mort de Robert et le pillage des maisons particulières. Les chouans n’entrèrent chez les particuliers qu’après l’occupation de tous les quartiers.

Autres témoignages.

  • Les témoignages de Marie-Jeanne Le Roy, aubergiste, de Thérèse Clavier, femme de Georges Poligné, tanneur, et de Georges Poligné lui-même sont formels : les chouans entrant chez eux leur racontent la mort de Robert en regrettant l’erreur qui l’a produite. De l’ensemble de 24 déclarants, il semble que les choses se soient passées de la façon suivante :

Entrée des Chouans

  • Les chouans débouchant du chemin de Bel-Orient ou dévalant les pentes de Graslia entourent l’église et le cimetière. Pendant qu’un groupe occupe l’ancien presbytère habité par Viviers et descend s’assurer du pont. Jean Grimaud, laboureur, dès le commencement de l’attaque voit « enfoncer (sic) » la porte de la tannerie Dufihol (chamoiserie) et cinq hommes armés tirant sur le citoyen Dufihol qui se sauvait.
  • D’autre part, Viviers fait prisonnier sera amené tout à l’heure devant l’état-major des chouans réuni sur la place. Un autre détachement arrivait par le Pavillon au marché aux vaches, près de la chapelle Saint-Vincent. Le gros de la troupe, contournant le cimetière, s’engageant dans la rue du Pont (rue La Fayette actuelle), se heurtait au factionnaire Etoré placé à l’entrée de cette rue sur la place du Cas Rouge, devant la porte de Jean Hersart (maison Lejout). Etoré ayant fui, après avoir tiré un coup de fusil, pour se cacher dans la rue des Ponts dans la direction du Vaugleu (abattoir J. Epaillard), les chouans, s’avançant, débouchèrent sur la place en face des halles.

Mort de l’instituteur Robert.

  • À ce moment, sortant de la maison Grinsart ou de la maison Seguin qui était voisine, un individu traverse la rue en courant se dirigeant vers le nord des halles. Les chouans le prirent-ils pour l’homme de garde qui venait de tirer sur eux ou pour le citoyen Joseph Seguin avec qui les gars de Saint-Martin-sur-Oust et des Fougerêts avaient de vieux comptes à régler , car, en sa qualité de juge de paix, il était l’agent naturel de toutes les perquisitions qui leur étaient odieuses et le canal ordinaire des dénonciations faites contre eux ? En tout cas, ils tirèrent et l’homme tomba devant la porte de Denis Chédalleux (emplacement de l’ancienne maison P.Clesio ou J. Renaud, à côté du passage Lasalle).
  • Comme on ne répondait pas à leur fusillade, les chouans s’avancèrent jusqu’aux halles et ils virent alors leur erreur en reconnaissant dans la victime Mathurin Robert, un des gendres de Joseph Grinsart, homme très modéré et inoffensif au su de tout le monde. La preuve que c’est bien ainsi que se déroulèrent les évènements de cette matinée tragique est donnée par le procès-verbal dressé par le juge de paix de l’époque, Joseph Seguin, dont la rédaction fut faite à son retour, car il avait pris la fuite, comme il le reconnaît lui-même, à la première menace du danger.
  • « Moi, Joseph Seguin, juge de paix du canton de La Gacilly, rapporte qu’environ les trois heures du matin de ce jour, 20 prairial, une force armée d’environ 300 hommes étant entrée dans cette ville de La Gacilly par trois endroits différents, suivant le rapport du bruit public et après avoir fait prendre la fuite aux factionnaires placés par la garde nationale, et après avoir entendu 40 à 50 coups de fusil tirés de file par les agresseurs qui criaient hautement : « Vive le Roi », et voyant la garde forcée et en fuite, sans espoir de ralliement, étant debout, sur les clameurs que j’entendais de toutes parts, ayant vu et entendu plusieurs citoyens de l’endroit qui se sauvaient et qui m’ayant aperçu m’ont crié : « Sauvons-nous, nous sommes perdus », la ville est prise, tout est forcé, nous n’avons d’espoir que dans la fuite, j’ai suivi ceux qui s’encouraient pour la sûreté de mes jours.
  • Après avoir été longtemps dehors et ayant aperçu de sur une hauteur la force armée qui se retirait, je me suis rapproché avec plusieurs citoyens. Nous avons trouvé tout le monde en consternation dans les rues ; les plaintes et les clameurs ont de suite retenti de toutes parts. Nous avons trouvé l’arbre de la liberté et celui de l’égalité abattus, différentes voix nous ont appris qu’on avait assassiné Mathurin Robert, instituteur public de cette commune, comme il sortait de chez lui pour s’évader, que différentes portes avaient été enfoncées, qu’on avait pillé, volé et désarmé plusieurs particuliers ; ai appelé deux notables de la municipalité, Pierre Soulaine et Joseph Guéhenneuc, et Jean-Marie Guillotin, officier de santé, pour procéder aux opérations de constat. »

La déposition d’Augustin Grinsart, maire, confirme en tous points le rapport du juge de paix

  • « A entendu ce matin, environ trois heures, tirer 30 à 40 coups de fusil dans les rues Saint-Vincent et du Pont…qu’ayant vu deux factionnaires obligés de se replier sous les Halles aux coups de fusil qui ne cessaient de tirer, il a fait battre la caisse pour appeler les citoyens et une partie de la garde qui s’était retirée pour se reposer, qu’à peine deux coups de tambour ont été frappés, qu’il a aperçu un nombre considérable d’hommes armés arrivant sur la place du Cas rouge, tirant de toute part et criant : Vive le Roi ; que n’étant pas en force suffisante pour se défendre, il a été obligé de fuir, lui et le reste de la garde par un chemin détourné, attendu qu’il s’est aperçu que cette troupe de royalistes s’avançait en trois points différents pour envelopper les habitants auxquels ont criait de différents lieux : Sauvons-nous !… ».

La description du cadavre de Mathurin Robert faite par Jean-Marie Guillotin apporte les précisions suivantes :

  • « Une balle lui a traversé la tête ; deux, la poitrine ; deux l’ont atteint au bas-ventre de part en part ; quatre à la cuisse droite. « Il a été tiré par derrière et de costé. »
  • Joseph-Marie Grinsart, beau-père de Mathurin Robert, déclare que le cadavre de son gendre a été trouvé « avis la porte de Denis Chedalleux, après une grande fusillade qu’il a entendue ». Marie Lorgerais, servante de Grinsart, ajoute : « Qu’elle a entendu tirer 20 à 30 coups de fusil par des gens qui criaient : Vive le Roi… » Après que la force armée a été retirée, elle a trouvé le citoyen Robert étendu sur la place, mort. »

Mathurin Robert.

Photo de M.ROBERT -

Seule victime, et d’ailleurs accidentelle, de cette échauffourée matinale, Mathurin Robert était originaire de la paroisse de Domloup du diocèse de Rennes. Il avait, le 12 juillet 1791, alors qu’il était domicilié à Redon, épousé à La Gacilly, Marie-Anne-Jacquette Grinsart, fille de Joseph-Marie Grinsart, dit Lasalle et de Marie-Elisabeth Simonnet. Il était donc le beau-frère d’Augustin Grinsart, maire de La Gacilly, et de Philippe Gatault, menuisier, et le cousin germain de Joseph et de Charles-Florentin Seguin et, par conséquent, connu de tout le monde à La Gacilly et aux environs.

Sans situation bien définie à Redon, effrayé peut-être de la tournure que prenaient les évènements, il s’était réfugié avec sa femme chez son beau-père et il venait d’accepter la situation plus que modeste à cette époque d’instituteur public de la commune.

La Convention avait bien en effet décrété l’organisation d’un enseignement national et fixé sur le papier des traitements pour les instituteurs, mais jamais un centime ne fut versé aux intéressés. Du reste, ce traitement était bien insignifiant puisqu’il n’atteignait pas 1.000 francs (en valeur de 1840). Il n’avait, d’ailleurs, guère eu le temps d’exercer ses nouvelles fonctions, s’il les exerça jamais, car c’est seulement à la fin de janvier 1795 que le conseil municipal avait pris un arrêté expropriant François Clésio de sa maison de la rue du Pont pour la transformer en école primaire publique et la période troublée qui avait suivi, avec ses alertes incessantes, ses gardes de jour et de nuit pour la garde nationale dont Mathurin Robert faisait partie, n’était guère favorable à une organisation scolaire régulière.

 

Le Pillage

  • En tout cas, les chouans ayant reconnu la malheureuse victime et regrettant leur erreur involontaire, comme ils le disent à tout venant, se répandirent rapidement dans les différents quartiers de la ville pour s’assurer qu’ils en étaient bien les maîtres. C’est alors qu’Etoré et Viviers, appréhendés l’un à la porte de l’écurie de Guillotin, l’autre chez lui, au presbytère de l’époque, furent conduits devant l’état-major réuni sur la place du Cas Rouge. Etoré fut immédiatement remis en liberté et regagna Lestun. Viviers, après interrogatoire, fut maintenu en état d’arrestation et confié à la garde de quelques hommes sûrs, place Saint-Vincent.
  • Les chouans s’occupèrent alors du but principal de leur venue à La Gacilly, qui était de se procurer des armes et des munitions. Ils en manquaient en effet et, parmi les assaillants, Jeanne Le Roy, aubergiste, en signale un qui n’avait comme arme qu’une cognée. Comme les chouans étaient à peu près tous du pays et connaissaient parfaitement tous les membres de la garde nationale de La Gacilly, la recherche des armes fut rapide et facile. Dix fusils, un sabre, celui de Roussel, agent municipal, une certaine quantité de cartouches et de balles constituèrent leur butin de cette journée. Mais les envahisseurs n’en restèrent pas là. Leur premier soin fut d’abattre l’arbre de la Liberté planté devant les Halles, à côté du puits, et ensuite l’arbre de l’Egalité sur la place du Cas Rouge
  • Cela ne faisait évidemment de mal à personne. Mais ils voulurent de plus profiter de leur victoire pour satisfaire les rancunes accumulées contre les fonctionnaires d’un gouvernement honni, persécuteur et oppresseur, par leurs exactions, leurs réquisitions et leurs dénonciations, et contre tous ceux qui les suivaient, les soutenaient et aussi les imitaient. Des groupes de chouans se portent à leurs maisons, mais ils n’y trouvent pas ceux qu’ils cherchaient. Un grand nombre de révolutionnaires sont partis d’avance se mettre à l’abri à Roche-des-Trois et à Redon.
  • Ceux qui n’ont pu le faire viennent de se sauver dans les campagnes environnantes au premier coup de fusil de la nuit et ils n’ont laissé que leurs femmes et leurs domestiques pour garder leurs demeures. Alors les assaillants furieux commencent à piller et à tout briser chez leurs ennemis, se mettant facilement la conscience à l’aise avec ce principe que tous les fonctionnaires de la République sont des voleurs et que les rançonner, c’est reprendre son bien.
  • Il faut bien se rappeler que les chouans de 1795 ne sont plus seulement, comme en 1793, des catholiques révoltés contre un gouvernement persécuteur de la religion. Leurs rangs se sont grossis de tous les adversaires du régime et en particulier des réfractaires à la conscription militaire vivant de vols et de rapines et de déserteurs de l’armée républicaine qui, entraînés aux violences et aux pillages, étaient fort peu recommandables. Il y en avait dans les rangs des vainqueurs de La Gacilly. Thérèse Clavier, femme de Georges Poligné, tanneur, reconnaît parmi eux le nommé Lequain de Rouen, ex-tambour des armées de la République, qui faisait partie de la troupe cantonnée à La Gacilly au cours de l’année 1794, mais avait quitté les rangs républicains pour entrer dans l’armée catholique et royale. Le garde national Etoré a de même reconnu les ex-volontaires Puissant de La Gacilly et Lefèvre de Maure-de-Bretagne.Rien donc d’étonnant que, dans l’enivrement de la victoire, un certain nombre de chouans se soient laissés aller à des actes regrettables de pillage. Le juge de paix, Joseph Seguin, fit à ce sujet un long rapport au district. En voici de larges extraits qui montrent certains aspects de ces temps de guerre civile. « Ce matin-là, laissant de côté la maison de Joseph Seguin qui fut préservée par le corps de Mathurin Robert, ils se dirigèrent vers la demeure de Patern Soulaine qui habitait place du Cas Rouge, à l’entrée de la rue Saint-Vincent, dans le prolongement de la maison Berthaux (première maison à gauche de la rue Saint-Vincent). Patern Soulaine, gros marchand de la localité, était le beau-frère du percepteur Clémenceau et acquéreur comme lui de biens nationaux
  • Il s’était, avec son beau-frère, réfugié à Roche-des-Trois. Voici la déclaration de sa femme Marguerite Chollet : « Étant couchée, elle entendit faire dans la porte de sa demeure une grande décharge de coups de fusils par des gens qui criaient : Vive le Roy, et dire : Ouvrez de par le Roy ou nous enfonçons. » Déclare qu’elle se leva et ouvrit la porte, qu’au même instant 30 ou 40 hommes armés de fusils, de baïonnettes, de pistolets, de sabres, entrèrent, la saisirent en la menaçant de lui brûler la cervelle, se saisirent d’elle et lui donnèrent une pousse contre le lambris, dont elle fut blessée à la tête, qu’on lui demanda des armes et de la munition, qu’ils prirent tout ce qu’elle avait d’argent dans la boutique et la marchandise qui leur plut, qu’elle reconnut sur la rue les deux Boutemy de Glénac. »
  • Une voisine, Marie Méaude, femme de Joseph Danard, maréchal, réveillée par le bruit qui se faisait chez Patern Soulaine et entendant les injures et les menaces adressées à sa femme, croyant qu’on allait la tuer, descendit pour lui porter secours, mais ne trouva plus personne. Elle vit tous les linges dispersés dans la place. Patern Soulaine se vit ainsi enlever tant en espèces qu’en marchandises une assez forte somme.
  • Renée Soulaine, sœur de Patern et épouse du citoyen Clémenceau, enregistrateur à La Gacilly et réfugié lui aussi à Roche-des-Trois, reçut de même la visite des chouans. Elle reconnut Potier, fils des Fougerêts, le fils de Gilles Belsoeur, sabotier, des Fougerêts et La Feuillade, maçon, également des Fougerêts qui s’appelait en fait Louis Bocherel et était originaire de Renac. Elle déclare que ce dernier voulait la faire fusiller, qu’elle se cacha ensuite dans un coin de sa maison et ne vit plus rien. Sa maison fut pillée comme celle de son frère Patern.

Un chef chouan.

Louis-Charles-René De Sol de Grisolles -Le comte Louis-Charles-René De Sol de Grisolles, né à Guérande le 29 décembre 1761, fils d’Athanase de Sol et de Jeanne de Sécillon, d’abord officier de marine, rejoint Condé en 1791. Puis on le retrouve à Jersey en janvier 1795 ; il rentre en France en mars avec d’Andigné en débarquant près d’un village de Saint-Quay-Portrieux. Aussitôt dénoncés, ils sont arrêtés ; d’Andigné réussit à s’échapper, mais de Sol, blessé, est fait prisonnier par les gardes-côtes ; lors d’un transfert, il s’échappe lui aussi et rejoint Guérande. Ne trouvant personne de sa famille, il se rend à Béganne au château de Trégoët qui est alors une propriété des de Sécillon.

C’est là qu’il décide de relancer les actions des chouans de la région. Très entêté, il sera le dernier des derniers insurgés. Il commence par réorganiser les bandes et les groupes en leur donnant des ordres grâce à des émissaires et se constitue un état-major avec M. de Mondoré comme colonel, deux Sécillon, ses deux cousins, comme chefs de bataillon, l’abbé Panhéleux, ex-recteur de Théhillac, pour le ravitaillement et les renseignements. Il commence par attaquer les convois de charrettes qui emmènent le produit des perquisitions ; puis le blé et les autres marchandises sont mis en lieu sûr. Il s’attaque ensuite aux greniers municipaux pas toujours très bien gardés.

C’est la raison pour laquelle, depuis le 10 mai, celui de La Gacilly est gardé militairement jour et nuit. Puis il prend possession de tous les passages d’eau : Branféré est gardé par Gilles Sébilet tout dévoué à M. de Pioger ; le Port-Corbin, sur l’Aff, est généralement desservi par un des Debray de Coquelin.

De Sol change souvent de domicile accompagné de ses deux ordonnances, Jean et Pierre Jaffredo de Limerzel. Quand il vient dans les environs de La Gacilly, il s’arrête très souvent à la Noë-Cado tenue par M. Boudet qui, à la fin de l’année, est arrêté et incarcéré à Redon puis remis en liberté ; né à Saint-Domingue, ce dernier se faisait passer pour nationalité américaine ; il fut pendant longtemps administrateur des Fougerêts et fit même arrêter des prêtres réfractaires.

D’un autre côté, on peut se demander pourquoi de Sol n’eut jamais d’ennuis tout en rendant d’énormes services à la chouannerie ; peut-être parce que sa maison constitua le point de correspondance des princes pendant un certain temps. Après avoir quitté le commandement chouan de la région de l’Aff, on retrouve de Sol, quelques années plus tard, impliqué dans l’affaire de la « machine infernale ». Arrêté et enfermé au Temple à Paris, il sera délivré avec la Restauration et décèdera à Bordeaux le 13 avril 1886 après avoir été nommé gouverneur du château de Pau.

1796.

, beaucoup d’émigrés rentrent au pays, en particulier Louis de Gouyon qui se réfugie à Sourdéac. Vu les exactions commises par les chouans et cette arrivée massive d’émigrés, le commissaire Jean-Marie Leblanc ne se sent pas rassuré et il écrit à sa hiérarchie : « Il est bien cruel pour des républicains que leur vie, menacée par des chouans, ne soit pas plus en sûreté au milieu de ceux qui sont spécialement chargés de la défendre. » J’abandonne le tout à votre prudence et à votre discrétion, en vous priant d’en conférer au général Quantin qui n’approuvera certainement point de pareils excès dans sa division. Je vous observe que je travaille ici à faire rappeler ce commandant et sa compagnie et que je ne désespère pas d’y réussir auprès du général Bravot qui doit nous arriver aujourd’hui…

1797

Dans les premiers mois de cette année-là, une épidémie terrible s’abat sur les enfants et les adolescents et en fait disparaître un nombre considérable, ajoutant des deuils cruels et répétés à toutes les autres peines qui affligent alors les gens du pays. Toutes ces calamités qui fondent à la fois sur la population et surtout sur les pauvres ont un effet auquel ne s’attendent sans doute pas les meneurs révolutionnaires de la petite cité, celui de réveiller le sentiment religieux violemment comprimé pendant la période de persécution et de terreur et de faire les pauvres gens se tourner vers Dieu.

1798

Dans les environs de La Gacilly, les patriotes de la République règnent en maîtres absolus. C’est cette année-là que furent créées les bandes dites des « galériens », en fait de faux chouans, de véritables égorgeurs. Dans la région, l’une de ces bandes va opérer avec pour chef un Kermorin de Questembert, puis plus tard un Allemand nommé Muller. Pourtant, dans les environs de La Gacilly, le résultat des recherches et des perquisitions est nul pendant toute l’année. Dès que Seguin arrive quelque part avec sa troupe de bleus, les paysans sont tranquillement occupés aux travaux des champs et les prêtres réfractaires si bien cachés qu’ils sont insaisissables comme à la [10]Chohannière à Glénac.

1799

Si en 1793 les chouans menèrent une guerre très dure contre la République, l’année 1799 est marquée aussi par une guerre sans merci, sans grandes prises d’armes, mais plutôt faite d’une multitude d’escarmouches locales ; les Anglais approuveront et mettront tous leurs espoirs dans ce nouveau soulèvement et tenteront d’aider les chouans en particulier avec le débarquement. Ces coups de main militaires, ces attaques de villages ou de petites villes de garnison vont se succéder jusqu’à la fin de l’Empire.

10 novembre 1799.

Dès le 9 novembre, beaucoup de royalistes armés se réunissent à Saint-Martin-sur-Oust, aux Fougerêts et à Glénac pour attaquer Redon où ils pénètrent le 10 au matin sous les ordres de Sol. Aussitôt, les commissaires, dont celui de La Gacilly, adressent une missive au commissaire du Directoire près l’administration centrale, datée de Redon du 20 brumaire, où il est dit : « Beaucoup des habitants de La Gacilly et de Carentoir se sont liés à eux et nous ne doutons nullement qu’un bien plus grand nombre ne va s’y joindre s’il n’y vient sous peu une force importante.» De Sol quitte Redon le 14 novembre au matin sous les menaces et l’arrivée subite du général Gency qui est remplacé, deux mois plus tard, par le général Chabot. Celui-ci prend le commandement de la région de l’Aff, de Guer à Redon.

21 novembre 1799

Il est souvent question du débarquement qui, en 1795, fournit à Charette des milliers de fusils anglais, des canons et 45.000 livres en or. Mais, en Bretagne, plusieurs débarquements eurent lieu, dont celui de Quiberon le 21 novembre 1799 : les Anglais occupaient alors Belle-Ile. En fait, beaucoup d’armes et des barils d’argent furent débarqués à Billiers : un convoi de 85 charrettes prit la direction d’Elven et un autre convoi de 200 charrettes, sous la direction de Sol, prit la direction de Limerzel, Béganne, Redillac en Saint-Jacut puis la forêt de la Bourdonnaye. Si l’argent a pu être découvert et employé par certains, par contre, les armes et les munitions ont disparu sans laisser aucune trace. Où sont-elles ?

René-Noël Rubault (prêtre)

René-Noël Rubault de Béculeux en Ruffiac était très connu des Gaciliens. Né à Malestroit de Jacques Rubault et d’Honorée Jarnier en 1743, il apparaît à La Gacilly dès 1766 où il signe au registre des baptêmes comme clerc minoré (il avait pris l’habit chez les Bernardins de Prières le 4 janvier 1765) puis en 1770 comme sous-diacre. Ces séjours à La Gacilly s’expliquent par le fait qu’à cette époque résidait à La Gacilly un nommé Jarnier, homme de loi et procureur du marquisat de la Bourdonnaye. Or c’était sans doute son oncle et il venait chez lui passer ses vacances de séminariste. Ordonné prêtre le 21 septembre 1771 au Mené par monseigneur de Bertin, il revient à La Gacilly comme vicaire de Claude-René Le Masle en 1776 ; il demeure à La Gacilly jusqu’en 1784, où il est nommé curé de Malansac. De là, il n’oublie pas ses amis de La Gacilly où il vient de temps en temps comme en 1785 et en 1786 pour présider à un baptême et à un mariage.

Il est nommé curé de Glénac en 1787 et rend de nombreuses visites à La Gacilly ; au cours de cette année, il assiste à deux sépultures et à plusieurs baptêmes dans cette trêve ; en 1788, il y fait quatre baptêmes, un mariage et quatre sépultures et, en 1789, quatre baptêmes et deux mariages. Il avait peut-être abandonné dès 1788 son poste de Glénac pour se retirer à La Gacilly, car il dit la messe matines à l’église de cette ville en 1789 et, en 1790, il assiste à la bénédiction de la seconde cloche où il signe Rubault de Béculeux sans faire suivre son nom d’un titre clérical comme auparavant.

Il prête le serment constitutionnel le 20 février 1791. Il signe encore un baptême en avril de cette même année sur le registre de La Gacilly, puis il rejoint Malestroit, où il vient d’être nommé vicaire par l’évêque schismatique Le Masle. Le 10 septembre de cette même année, il refuse le rectorat de Taupont à cause de « sa santé ruinée par le chagrin et la calomnie » écrit-il au district, mais plutôt parce qu’il sait la façon dont les catholiques de la région de Ploërmel accueillent les prêtres jureurs. Resté à Malestroit dans l’attente vaine d’un traitement qui ne vient pas ou par bribes insignifiantes, il y est dans la misère et meurt de faim. On le retrouve « vicaire et bénéficier » à Sérent en 1792.

Il prête encore, le 8 janvier 1793, le nouveau serment exigé par la loi de septembre 1792 de tous les fonctionnaires publics : « Je jure de maintenir de tout mon pouvoir la Liberté et l’Egalité ou de mourir à mon poste. » Mais une première lâcheté en entraîne une autre, et pris dans l’engrenage, le pauvre Rubault ne pourra plus se dépêtrer qu’il n’ait touché le fonds de l’abîme et ne soit devenu traître à ses engagements les plus sacrés. Il prêtera en effet sans hésitation et sans trouble apparent de conscience tous les serments demandés aux fonctionnaires et il en signera les formules variées au registre de La Gacilly, de sa grande écriture épaisse et anguleuse

L’état misérable de René-Noël Rubault fut vite connu à La Gacilly et ses amis, d’anciens élèves, l’invitent à revenir à La Gacilly et, bien sûr, il y accourt en février 1793. En effet, le 27 de ce mois , le conseil municipal dont le maire est M. Joseph Grinsard le nomme curé de La Gacilly ,Glénac, Cournon et d'autres communes. Il était assuré d’un traitement convenable qui lui permettait désormais de vivre sans l’âpre souci du pain de demain ; il va enfin connaître la tranquillité. Ce bonheur ne dura même pas un mois.

Le 19 mars, à peine installé dans la chambre qu’il vient de louer chez la veuve Legouër, boulangère, dans la deuxième maison de la rue du Pont, à droite en partant du Cas-Rouge (emplacement de l’ancienne maison P. Debray, n° 2 de la rue La Fayette d’aujourd’hui), il est obligé de fuir en toute hâte et d’aller se réfugier à Redon, sous la protection des soldats du général Beysser, pour éviter la colère des paysans révoltés qui se portent partout dans notre pays à l’assaut du centre où le pouvoir révolutionnaire est organisé. À la fin du mois, les chouans se retirèrent et l’abbé Rubault put revenir. C’est alors que Montméjean est arrêté et guillotiné ; ses propriétés en Carentoir sont vendues comme biens nationaux ; sa métairie et son pourpris de la Danais sont adjugés à René Rubault pour la somme de 7.175 livres. Mais l’accalmie, cette fois encore, ne devait pas être bien longue pour notre curé, la Terreur n’était pas loin.

En janvier 1794, La Gacilly eut la fête de la Raison sous les yeux du curé constitutionnel Rubault, honteux, humilié et impuissant. Le petit troupeau de fidèles qui s’était réuni autour de son curé constitutionnel se dispersa pendant cette période troublée et leur curé jureur prit le parti de se cacher. Le pauvre René-Noël Rubault ne pouvait qu’être effrayé par les ruines amoncelées par le torrent dévastateur dont il avait contribué lui-même à rompre les digues par sa complaisance pour des idées nouvelles et dangereuses, sa désobéissance vis-à-vis de ses chefs spirituels, sa lâcheté devant Dieu et devant les hommes.

On n’arrête pas un torrent débordé, on est nécessairement entraîné ou broyé par lui. Le curé intrus put croire un instant que le flot destructeur ne monterait pas jusqu’à lui qui avait pris tant de précautions, même coupables, pour sauver son existence, car la persécution furieuse et sanglante s’abattit d’abord sur les prêtres restés fidèles à leurs devoirs et cachés dans le pays pour pouvoir venir au secours des pauvres âmes désemparées. Les prêtres restés en France au péril de leur vie furent traqués comme des bêtes fauves, les uns comme réfractaires au serment schismatique, les autres comme entrés sur le territoire après leur exil ou leur déportation.

Dénoncés ou pris au hasard des perquisitions exercées par les troupes républicaines dans tout le pays, jeunes, ils étaient exécutés dans les vingt-quatre heures, comme le demandait le décret de la Convention du 11 mars 1793, ou envoyés en prison s’ils avaient plus de soixante ans ou étaient malades. C’est ainsi que Rubault vit deux de ses confrères voisins qu’il avait nécessairement connus dans son ministère régulier d’autrefois à La Gacilly et à Glénac monter à l’échafaud pour rester fidèles à leur foi.

Michel Després, natif de Bains-sur-Oust et vicaire de cette paroisse, qui, tombé entre les mains des révolutionnaires, fut guillotiné à Redon le 24 octobre 1793, et Julien Racapé, né à Saint-Just et vicaire à Brain-sur-Vilaine. Ce dernier, caché chez ses parents, arrêté, traduit devant le tribunal révolutionnaire et condamné à mort, marcha vers l’échafaud le 1ᵉʳ novembre 1793 en chantant courageusement le cantique du Père de Montfort : « Allons amis au bonheur véritable ». Bains-sur-Oust et Saint-Just faisaient alors partie du diocèse de Vannes comme La Gacilly et Glénac.

Le pauvre renégat put, de même, voir partir pour être emprisonnés à la retraite de Vannes les prêtres âgés ou malades de son voisinage qu’il avait connus, respectés et estimés autrefois. De même, Rubault ne peut ignorer l’arrestation et l’emprisonnement à Josselin de son ancien confrère et prédécesseur à Glénac, l’abbé Fleury de Buléon, car le fait suivant, consigné aux archives de Josselin, ne put manquer de défrayer les conversations de La Gacilly lorsqu’il y fut connu. M. Fleury était l’oncle des Clésio de La Gacilly.

Le bruit de sa mise en prison ayant couru, l’un de ses neveux partit immédiatement pour Buléon afin d’avoir des renseignements sûrs. Ayant reçu là-bas confirmation de l’emprisonnement de son oncle à Josselin, il résolut d’aller le voir avant de rentrer à La Gacilly et de lui porter quelques secours. Accompagné et guidé par un de ses cousins, Trévalinet de Buléon, aussi neveu de l’abbé Fleury, il se dirigea sur Josselin et tenta d’entrer en relation avec son oncle. Mal lui en prit, car le 23 décembre 1794, le directeur de la poste de Josselin annonçait au département l’arrestation de Trévalinet de Carascouët en Buléon et de Clésio de La Gacilly « parce qu’ils demandaient à voir un prêtre nommé Fleury et avaient l’intention de lui remettre quelque chose ». Les deux cousins payèrent de quelques mois de séjour dans les infectes prisons de Josselin (c’est le mot du représentant du peuple, Prieur de la Marne) leur acte de dévouement pour leur vieil oncle.

Ces exemples de courage et de fidélité au devoir de ses anciens amis n’ont pas l’air d’émouvoir l’endurci Rubault et il reste dans sa situation pénible de jureur et de révolté. Il n’est pas encore tombé assez bas et il faudra qu’il touche le fond de l’abîme pour voir ses yeux se dessiller et comprendre l’indignité de sa vie.

Mais voici que la persécution menace à leur tour les prêtres constitutionnels et il va avoir à trembler pour lui. C’est que la Convention, sous la poussée des clubs de Paris composés d’impies et de francs-maçons, ne tendait à rien moins qu’à l’athéisme officiel, à la suppression de tout culte religieux et d’abord du culte catholique, pour le remplacer par celui de la déesse Raison. Après avoir réquisitionné les églises pour le culte de la Raison et interdit l’exercice du culte en dehors du décadi, sans tenir compte du dimanche, ils vont exiger des prêtres jureurs la remise de leurs lettres d’ordination et la renonciation à l’exercice de leur culte. Le 13 avril 1794, Le Carpentier, représentant du peuple (c’est-à-dire de la Convention) en mission dans la région, prend l’arrêté suivant :

Sont déclarés suspects tous les prêtres qui ont attendu jusqu’à ce jour pour déposer leurs lettres de prêtrise soit à la municipalité, soit au district ; tous ceux qui, après avoir renoncé à leurs fonctions, en ont repris ou continué l’exercice ; les autres prêtres qui travailleraient d’une façon quelconque à exciter le fanatisme dans les cités ou dans les campagnes.

Les autorités constituées sont expressément chargées de procéder à la célébration du décadi dans les lieux où cette institution morale et civique ne serait pas encore établie, comme de veiller à son maintien dans les communes qui ont déjà élevé un temple à la Raison. »

Voilà donc le curé schismatique, malgré son empressement à prêter tous les serments qu’on lui demande et même ceux qu’on ne lui commande pas, considéré à son tour comme suspect et menacé d’être mis en état d’arrestation. Dès le 18 avril, il est à Rochefort-en-Terre devant le district pour y remettre ses lettres d’ordination et de prêtrise et renoncer à ses fonctions sacerdotales. Il rentre à La Gacilly et n’osera plus remplir publiquement les fonctions de son ministère. Il devient alors agent de recensement pour les toiles puis pour les chanvres et enfin pour les grains. En cachette, il continue à baptiser, à confesser et à marier religieusement. René-Noël Rubault sera membre du synode de Lorient en juillet 1800 avec le titre de vicaire de La Gacilly depuis 1776.

Sources

    1. abcdblog Hautetfort.com
    2. Martyrs de la Révolution par G. Mathiot
    3. Histoire de la Révolution dans les Départements par A. Duchatelier
    4. Revue Prospections – juillet 1988 – Les trésors enfouis de la Chouannerie – p. 14 – D. AUDINOT
    5. Général Lemené
    6. Revue morbihannaise La famille de Rieux par P. Merlet.
    7. Histoire de la Révolution dans le département des prêtres par Duchatelier

 

 

 

 



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