Les Marais de Vilaine et des environs ont été, de tous temps, l'un des sites naturels de Bretagne les plus renommés quant à leur richesse floristique et phytosociologique. C'est en particulier à travers l'aspect estuarien que la Vilaine avait de prime abord attiré l'attention des botanistes. Dès les années 50, le professeur Pierre Dupont (université de Nantes) mettait en exergue, dans un article qui a fait date, l'originalité des formations prairiales marquées par l'influence des marées salées en aval de Redon. Cet article très utile présente l'indéniable avantage de dresser un état zéro de la situation, avant la rupture avec l'estuaire, générée par le barrage d'Arzal.
Depuis, il a réitéré cette analyse, avec des éléments comparatifs, lors d'un programme d'étude des marais de l'Ouest, puis dans un numéro de la revue "Penn Ar Béd". L'intérêt de cette comparaison repose surtout sur les changements constatables depuis la mise en service du barrage d’Arzal, aménagement qui a supprimé toute remontée des eaux estuariennes au-delà de Camoël.
Or dans toute la partie de la vallée de la Vilaine située en aval de Redon, subsiste, contre toute logique, une forte présence de sel dans certaines parties du marais. Sur ces sols plus ou moins encore salés, peut se développer une flore adaptée, dite subhalophile. Le devenir de ces sols partiellement salés et de la flore associée reste un point d'inquiétude, notamment en raison du lessivage inévitable au fil du temps.
D'autres aspects importants du marais sur le plan floristique ont été depuis mis en évidence, en particulier dans les secteurs affluents et dans les parties amont de la vallée de la Vilaine (Oust, Vilaine en amont de Redon, Don, Arz, Isac). Il s'agit en particulier des milieux acides, tourbeux, qui hébergent une végétation très différente des marais subhalophiles.
Autre aspect primordial, la présence d'espèces végétales d'exception sur l'ensemble des Marais de Vilaine qui est aujourd'hui confirmée par divers inventaires, dont une part notable a été réalisée sous l'égide du Comité des Marais et d'autres dans le cadre de divers projets locaux. Elle se traduit aussi par des associations d'espèces particulières. Certains de ces "habitats naturels" (selon la terminologie européenne) sont rares et sont à préserver en raison de cette rareté ou de leur caractère éminemment représentatif de la biodiversité d'Europe occidentale, comme l'a montré l'inventaire des habitats et des espèces du site Natura 2000 des Marais de Vilaine, inventaire effectué à la demande de l'Institution d'Aménagement de la Vilaine (IAV), maître d'ouvrage de l'étude pour le compte de la DIREN (Direction Régionale de l'Environnement).
Plusieurs études récentes ont permis d'avancer dans la connaissance de cette végétation. Nous en proposons ci-après une synthèse qui n'a pour but que de donner envie au lecteur d'en savoir davantage, surtout en allant voir sur le terrain pour se familiariser avec la diversité naturelle et sa stricte dépendance vis-à-vis des conditions du milieu et des pratiques humaines, à la faveur de sorties organisées ou de découvertes personnelles. Nous attirons cependant l'attention sur deux choses. Il faut maintenir les activités propres au marais, comme le pâturage et la fauche. Il convient de rester intraitable quant au respect de la flore, pour le maintien à long terme d'un équilibre durable entre l'homme et la nature : pas de prélèvements, mais des photos.
. Ici, les marais sont, pour une bonne part, constitués de prairies aujourd'hui relativement naturelles, c'est-à-dire, du point de vue agricole, permanentes ou à longue rotation. Cependant, dans certains secteurs, le visiteur pourra observer une mosaïque de parcelles où se mélangent cultures et prairies. Cette situation, liée à la capacité actuelle d'évacuer plus ou moins vite les crues et de drainer le marais dès le printemps, est une conséquence de la forte pression socio-économique qui s'est exercée dans les années 70, en faveur de l'intensification de certaines pratiques agricoles dans les marais, orientation qui ne semble ni opportune ni devoir se maintenir. Les milieux qui, dans le marais, recèlent le plus d'espèces et d'associations intéressantes, sont, d'une part, les prairies humides ou mésohygrophiles et, d'autre part, le réseau de fossés, d'anciens méandres, de douves et de petits cours d'eau qui quadrillent l'espace.
. Encore inondables, quoiqu’avec une fréquence et une durée bien moindre qu'avant 70, les prairies naturelles présentent une flore largement marquée par l'hydromorphie temporaire ou permanente des sols et par les périodes de saturation en eau plus ou moins longues, voire de submersion lors des épisodes pluvieux, pour ce qui est des bas-fonds. À ce facteur "eau" se superpose ici l'influence du sel. Selon l'importance des lentilles salées piégées dans les sols, cette influence est plus ou moins marquée. Aujourd'hui absente de la plupart des endroits proches de la Vilaine mieux drainés et lessivés lors des crues, la flore caractéristique des sols contenant du sel d'origine marine est mieux représentée dans le revers et dans le fond du marais, plus proches du coteau.
Ce modèle général de répartition est néanmoins l'objet de multiples variations d'ampleur dans l'espace à la faveur des étiers, fossés et cuvettes qui piègent ou, au contraire, évacuent les eaux douces hivernales apportées par les pluies, voire par les débordements de la Vilaine. Dans les zones où les sols sont encore saumâtres, diverses espèces subhalophiles peuvent subsister. Dans les bas-fonds, petits étiers et micro-cuvettes où l'eau s'évapore sur place au lieu d'être évacuée par des fossés, il peut y avoir une reconcentration estivale en sel qui favorise cette caractéristique.
Légèrement surélevé par rapport au reste du marais, le bourrelet de berge, qui longe la Vilaine, se retrouve artificiellement renforcé par le curage du cours d'eau. Ce bourrelet alluvial présente plutôt une végétation mésophile. Au niveau du revers, ce sont surtout des prairies subhalophiles que l'on va rencontrer, celles-ci devenant de plus en plus humides en allant vers les bas-fonds
Au pied du coteau, outre une douve périphérique, il subsiste le plus souvent des prairies humides présentant çà et là des cuvettes plus basses, le tout étant fréquemment caractérisé par des espèces subhalophiles. Les parties les plus riches en espèces patrimoniales de la vallée de la Vilaine s'y trouvent. Les associations d'espèces caractéristiques s'y maintiennent parfois, malgré la dessalure et en dehors des parcelles ayant subi des pratiques parfois excessives, telles que les labours, les semis de fétuque et les amendements.
Les espèces végétales présentes dans les secteurs les mieux conservés en état naturel sont les suivantes :
D'abord, plusieurs espèces de trèfles dont :
Dans les parcelles restant humides en fin d'hiver et au printemps, on y ajoutera une espèce remarquable, la renoncule à feuilles d'ophio-glosse (Ranunculus ophioglossifolius), espèce protégée au niveau national et sur la liste rouge de la flore menacée du Massif Armoricain; dont les fleurs et les feuilles de petite taille et la teinte jaune clair s'opposent assez nettement aux autres renoncules du marais (le caractère botanique le plus strict est la présence de fins tubercules sur les carpelles, caractère visible à la loupe).
D'autres espèces qui ne sont pas subhalophiles mais restent assez exceptionnelles sont également présentes, telle l'âche des milieux inondés (Apium inundatum), une petite ombellifère.
Les parties humides se caractérisent aussi par la fréquence d'une espèce que l'on retrouve dans presque toutes les prairies humides, l'oenanthe fistuleuse (Oenanthe fistulosa), petite ombellifere dont les ombelles blanches à 3 ou 4 ombellules peuvent conférer aux cuvettes inondées une constellation
On terminera cette brève description du marais subhalophile en précisant que plusieurs associations végétales, composées des espèces citées et de leurs compagnes, sont d'intérêt communautaire (intérêt européen). Il convient donc de les protéger, en particulier sur ce site des Marais de Redon et de Vilaine, qui appartient au réseau "Natura 2000".
Malheureusement, la mise en culture des parcelles et la conversion de certaines prairies naturelles en prairies artificielles, pratiques qui subsistent encore aujourd'hui, banalisent la composition floristique et font disparaître les espèces d'intérêt patrimonial. Si cette situation ne semble pas devoir perdurer, la reconquête de la diversité est lente et incertaine.
Mentionnons enfin qu'aux environs du coteau, certains bas-fonds humides et les fossés les moins salés voient se développer, comme dans les zones humides hors marais inondables, des "prairies à hautes herbes" ainsi nommées parce que leur physionomie est largement dominée par des espèces herbacées mais à grand développement :
l'oenanthe safranée (Oenanthe crocata), grande ombellifère à grosses ombelles blanches, très exubérante en région atlantique, très visible en mai-juin pendant sa floraison, y joue souvent le rôle principal, on y trouve aussi
Ces "prairies à hautes herbes" sont relativement répandues dans les Marais de Vilaine, que ce soit en aval ou en amont de Redon.
En arrière, dans certains diverticules, des bois humides et en particulier l'aulnaie, apportent un élément important de différenciation floristique et phytosociologique.
Parmi les plus répandues ou les plus remarquables
Dans les Marais de Vilaine et ses environs, la seule espèce végétale d'intérêt communautaire européen, mentionnée dans la Directive "Habitats", est le flûteau nageant (Luronium natans], dont la présence a été confirmée dans certains marais et nouvellement trouvée dans d'autres. Cette espèce est disséminée en des endroits très divers du site, d'extension très variable. Il s'agit le plus souvent de ruisseaux ou de douves aux eaux plutôt acides et peu chargées (eaux oligotrophes à mésotrophes). Alors que dans certains secteurs (Vallon du Rocher), les populations sont très importantes, dans d'autres endroits, comme dans le Marais du Petit Bézo, on ne retrouve que quelques individus. L'espèce reste fidèle à un biotope bien précis et, de ce fait, est à la merci des aménagements et des pollutions.
.D'autres espèces patrimoniales sont menacées par l'invasion des plantes exotiques, et plus particulièrement de la Jussie, et par les opérations d'élimination qui en découlent. On remarque, par exemple, que la châtaigne d'eau (Trapa natans), autrefois fréquente dans les Marais de Vilaine, n'a plus été observée en vallée de l'Oust, après 1996, dans les vallées de la Vilaine et de l'Isac après 1999, et dans la vallée du Don après 1997.
Néanmoins, la richesse taxonomique des Marais de Vilaine est indéniable, avec pratiquement une cinquantaine d'espèces dont l'intérêt patrimonial est indiscutable, en raison de leur rareté départementale, régionale ou nationale. Il est vrai que beaucoup d'observateurs sont présents régulièrement ou occasionnellement sur l'une ou l'autre des parties du site, ce qui augmente la probabilité d'observer telle ou telle espèce, même si elle est rare ou localisée. Un important travail a été mené sur plusieurs communes par le Comité des Marais, qui souvent confirme ou complète des observations antérieures,
L'évolution de la richesse spécifique des Marais de Vilaine est très difficile à appréhender, car tous les sous-ensembles n'ont pas bénéficié d'un "état zéro" à la même période et l'ensemble des marais n'est pas prospecté dans le détail régulièrement.
Quelques processus n'échappent pas à l'observateur averti, comme la progression des ligneux (saules, aulnes, pins...) et des grands hélophytes, dans divers marais comme Mussain, une partie de Gannedel, Murin, le ruisseau de l'étang Aumée, le vallon du Dréneuc, des marais de l'Isac, le vallon du Roho. Cette évolution s'exerce bien entendu au détriment de toute la diversité floristique initiale.
En matière de perspective, on peut craindre une diminution forte de la biodiversité dans les décennies à venir, liée à la fois à la fermeture du paysage des marais précités et à la baisse de salinité résiduelle dans certaines parties en aval de Redon avec passage à un statut mésotrophe, voire eutrophe sous l'influence des fertilisants et, une acidification du sol.
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