IL s'appelait Albert Chevalier, mais tout le monde le surnommait Bébert. Trois mois après son décès, il reste encore dans les mémoires, tout simplement, parce qu'avec son accordéon, il a marqué l'histoire des gens en les mariant ou en les faisant danser pendant des fêtes populaires : c'est quelque chose.
Tout le monde le connaissait sous le nom de Bébert, Albert. Bébert Chevalier, « l'accordéoniste ». Les Cournonnais, par exemple, pour la fête de Lestun, et pendant des années, il sonnait douze heures d’affilée, se souvient son ami d'enfance Alexis Royer qui l’a longtemps accompagné à l'harmonica.
Voir les gens danser

Souvent, il commençait un bal par une"Pastourelle". C'était l'un de ses morceaux préférés, un air qui venait d'Auvergne. Ce n'était pas dur à jouer, mais surtout, c'était un air qui faisait danser, et pour lui, l’accordéon, c'était fait pour faire danser, pour que les gens s'amusent sur la piste. Sa raison d'être musicien, c'était, quelles que soient les conditions, bals, mariages, de voir danser les gens, de les voir s’amuser ; cela le rendait à son tour heureux, rappelle son fils Serge. Après la Gigouillette, venaient les polkas piquées, les javas, les valses .
Albert Chevalier est né, l’année où débutait le second conflit mondial, le 25 octobre 1939, à Glénac, dans le hameau de Launay. « On était dans la même classe. On a grandi ensemble, presque côte à côte, sourit Alexis, de cinq jours son aîné et harmoniciste qui a joué avec Bébert pendant de nombreuses années, sans pour autant faire le même choix professionnel de la musique que son copain.
Son frère et sa sœur lui offrent un accordéon. Il grandit à la campagne « dans laquelle il avait de grands et beaux souvenirs. Par exemple, il gardait les vaches dans les marais, se souvient son fils.
Mais la musique ?
Il n'avait que treize ans, mais se passionnait déjà pour la musique et cet instrument, nous racontait-il. Dès le départ, c'est le chromatique. IL n'aimait pas le diatonique. Le tirer-pousser ne lui convenait pas, détaille son ami Alexis.
Tout commence à quinze ans ! À quinze ans, sa vie va prendre un tour définitif. C'est l’année 1954 où il va animer son premier mariage. IL avait tout appris d'oreille et aussi en regardant jouer d'autres musiciens et un autre grand accordéoniste à l'époque qui lui a mis le pied à l’étrier : Joseph LAILLÉ de Bains-sur-Oust, et il l’a beaucoup encouragé, soulignent d'une seule et même voix Serge et Alexis.
Joseph Laillé était un sonneur très connu dans le Pays de Redon, ce que deviendra aussi, au fil des ans, celui qui en 1954, lui emboitait le pas.
Le mariage, c'était quelque chose.
À l'époque, AH le mariage, c'était quelque chose, regrette presque Alexis avec un sourire malicieux coincé aux creux des joues. II s'étirait plusieurs jours. Il fallait d'abord plumer les poules, tuer la vache ou le veau, le cuisiner et faire tous les préparatifs pour accueillir les dizaines, voire les centaines de convives, car c'était aussi une fête qui réunissait une partie du village ou des hameaux.
C'est aussi cette fonction sociale que Bébert aimait aussi en tant que sonneur. Il a toujours eu le respect de ces traditions. II fallait rester très digne, même s'il aimait, de temps à autres, faire quelques blagues. Des blagues qui faisaient sourire ses copains qui savaient que sur un air pouvaient se cacher des paroles plus coquines que celles qu'il chantait parfois. La malice n'était jamais très loin non plus chez Bébert Chevalier !
Le jour du mariage, « il allait chercher d'abord le marié chez lui. Puis, en chantant, à pied évidemment, on rejoignait en musique la maison de la mariée. Mine de rien, c'était un sportif : il en a fait des kilomètres à pied avec son accordéon, sourit son fils Serge. IL y avait bien entendu la marche, mais aussi « le vélo » et enfin, « la mobylette qu'il enfourchait l'accordéon en bandoulière sourit son fils Serge.
À la fin de sa vie, il revenait sur ces longues journées pendant lesquelles il jouait non-stop. Il ponctuait la discussion de ces quelques mots : « J'ai trop forcé. Mon cœur en prenait un coup, au fil des ans ! »
« Vous dansez, ou alors j’arrête. »
Les années passèrent. Et à la fin, il était parfois un peu agacé parce que les gens ne dansaient pas, ça l’énervait beaucoup ! « Vous dansez, ou alors j'arrête ! » Bébert, << c'était un juke-box moderne et vivant qui animait, faisait vivre les mariages, et puis les anniversaires de mariage, mais aussi les bals ou les fêtes populaires ». Il y avait par exemple la fête des arts et vieux métiers de Saint-Martin-sur-Oust, la fête des anguilles à Saint-Perreux, celle de Lestun qui a enflammé Cournon pendant des années, mais aussi les pardons comme celui de Saint-Meen, ou enfin le rassemblement des accordéonistes à Augan « où il s'est rendu pendant plus de 20 ans », rappelle son fils Serge. Et puis, il y a eu les premières soirées qu'il a animées à la Guinguette à Glenac… Mais c'est surtout par les mariages qu'il est entré dans la vie intime, pourrait-on dire, des gens.
Il avait un don impressionnant.
Son répertoire ? « Il l'a acquis en écoutant, en retenant presque à la première écoute l'air qui lui était donné d'entendre. » Serge s'en souvient : il m'épatait. On lui faisait écouter un morceau. IL prenait son accordéon et presque immédiatement, il le transcrivait sur le clavier de son instrument. Il avait un don impressionnant. Et quand ça ne fonctionnait pas, « il recommençait inlassablement, pendant une heure ou deux, jusqu'à ce que ce soit parfait, car c'était un perfectionniste ! Je l'entendais grommeler: J'vais l'avoir », et il ne s'arrêtait que quand il l'avait. C'était un acharné ! » Il avait à la fois le geste précis du menuisier, la ténacité pour atteindre son but, la force de caractère, la patience alliée à la concentration et l'expérience nécessaire qui font les bons ouvriers.
Son métier de musicien, C'était un dieu de la musique. Il y a dans Serge l'éclat de l'énervement de l'enfant pour son père. Je me souviens d'être au bord de la scène quand j'étais petit et de ressentir une grande fierté de voir mon père jouer et les gens heureux de danser dans la salle. Quand j'entendais son accordéon, ça me touchait tout le temps. » Intimide aussi, Serge. Impressionné même. « Je n'ai jamais voulu jouer d’accordéon de son vivant, même s'il m'a donné quelques tours de synthétiseur quand j’étais plus jeune. » Comme la vie n'est jamais tout à fait un long canal tranquille, surtout quand on est né non loin des espaces marécageux de Glenac, Bébert a eu de petits et de gros soucis à côté de ses milliers de plaisirs.
Quand je ne pourrai plus jouer, je mourrai… »
Deux cancers en 1991 et 1993. « Hospitalisé pour le soigner, il a quitté l'Hôpital pour aller animer une noce : l'amour du métier ! » Il disait souvent : « Quand je ne pourrai plus jouer, je mourrai parce que je serai foutu. »
C'est exactement ce qui s'est passé », déclare son fis Serge. Bébert a aussi eu un très grave accident de voiture, en 1973, qui l’a laissé avec une légère claudication et un mal de hanche à la fin de sa vie. Des problèmes de doigts aussi, et pareil à d'autres musiciens, il a dû changer sa technique de jeu pour poursuivre sa passion. C'était dès son plus jeune âge une passion dévorante. Je le vois encore debout sur l’évier en schiste de mes parents, son accordéon dans les mains, pour nos 20 ans », se souvient Alexis Royer.
Musicien et menuisier
Il a perdu un œil très jeune. Appelé pour l’Algérie, juste avant de partir, il a fait une très grosse infection à l’un de ses yeux. Mal soigné, il l'a perdu. Passionné par la menuiserie, il n'a jamais tout à fait quitté cet artisanat qu'il appréciait beaucoup. Accolé à sa passion pour l'accordéon, il a toujours conservé sa volonté de travailler le bois, « en construisant des barques, mais aussi des matelas >. Mais c'est bien l'accordéon qui lui a offert le plus de plaisirs. Il s'est marié en 1960, et c'est évidemment Joseph Laillé qu’il est venu sonner.
Bilan : pendant plus de cinquante ans, il a fait de son accordéon son métier. Sortant aussi de sa Bretagne natale « pour rejoindre les Bretons exilés à la capitale ». Il sonnait aussi souvent au café des Bretons à Montparnasse. Passionné de musique, « IL adorait chanter et évidemment danser ».
D'ailleurs, comment ferait-on pour faire danser sans soi-même le savoir ?
Le sens du rythme et de l’improvisation.
Pour faire danser, il faut plusieurs ingrédients. Bébert les avait. À commencer par le sens du rythme. Il savait de façon simple mais bigrement efficace, se souvient Hervieux qui a joué avec lui.
IL savait aussi mettre l'ambiance et c'est ce que recherchaient les gens. Il savait relancer, et dans une certaine mesure, il pouvait aussi improviser : « Tu commences et je te suis », disait-il souvent.
Bon vivant, taquin, pas avare de vannes, quand il fallait les distribuer, très précis dans le travail, il s'est forgé une solide main en écoutant ses aînés : André Verchuren, Yvette Horner, Tino Rossi et la grande Dalida, qu'il aimait beaucoup.
Bébert Chevalier avait aussi le recul nécessaire sur le jeu d'avant et d'aujourd'hui, car il avait connu les diverses mutations, rencontré quelques virages tant dans le jeu que dans l'interprétation.
63 ans de carrière et plus de 3 000 mariages.
La première rencontre entre les deux musiciens, entre ces deux générations, s'est transformée en collaboration active avec le cabaret Savaty Orkestar et « Bébert était au chant ». IL a aussi été l'invité de la Bogue en 2016, pour le premier concours de chant à danser. Il était l'un des membres du jury. En 63 ans de carrière, il a animé, célébré plus de 3 000 mariages. Ses harmonies et ses rythmes trainent alors surement encore dans les mémoires, comme une bonne vieille "pastourelle" et aussi ; Adieu la fleur de la Jeunesse"<
source :
Yonning Siné
Gérard Magré